Matinée
Présidence : Pierre Riché- Introduction par Monique Cazeaux
- Le XIIe siècle féodal et florissant de l'Europe latine, par Monique Bourin
- Traduction et promotion de la langue vernaculaire : l'essor de la littérature en langue française, par Philippe Haugeard
- L'autodéfinition des traducteurs gréco-latins et arabo-latins, par Alexander Fidora
- L'acculturation latine selon Platon de Tivoli, par Max Lejbowicz
Après-midi
Présidence : Françoise Gasparri- Le rôle des traductions dans la naissance de l'université médiévale, par Jacques Verger
- Ibn al-Haytham : suiveur de Ptolémée ? Une thèse controversée en histoire de l'optique, par Jean Celeyrette
- Le tournant avicennien de la philosophie latine, par Jean Jolivet
- Un cas singulier de l'utilisation de la langue arabe, par Olivier Cullin
- Un autre type des transferts des savoirs arabes : le cas des traductions arabo-hébraïques, par Tony Lévy
Programme
Présentation : (texte & vidéo)
Le XIIe siècle féodal et florissant de l’Europe latine, Monique Bourin
Le XIIe siècle commençant avec la prise de Jérusalem par les croisés en 1099 et finissant avec sa prise par Saladin à l’automne de 1187 pourrait être pensé comme une époque où s’est réduit l’espace de la chrétienté occidentale. Il n’en est rien. Aussi bien dans la Péninsule ibérique qu’en Europe centrale et orientale, rois et chevaliers chrétiens sont conquérants. Là où les tentatives de conquête comme celle des côtes tunisiennes par Roger II de Sicile ne sont pas durables, les comptoirs commerçants s’affirment.
Cet espace élargi, un nombre probablement accru de chrétiens s’en approprient la connaissance par le voyage : commerce et pèlerinages, même s’ils sont pour l’essentiel à courte distance, semblent témoigner d’une mobilité croissante de la population, une mobilité plus souvent choisie que contrainte.
À l’intérieur des terres, au cœur de la chrétienté aussi, prévaut la croissance. Quelques documents textuels rapportent la création de villages neufs, de quelques entreprises de défrichements. Ce sont sans doute les plus risqués et les plus difficiles. Pour l’essentiel les témoignages de cette expansion des terres cultivées et des noyaux de peuplement sont indirects. Dans les contrées méditerranéennes, cette expansion va de pair avec une réorganisation des terroirs et la redistribution de l’habitat en un maillage dense de villages. Dans la plus grande partie de l’Europe, c’est le triomphe des terroirs céréaliers.
Au moins autant qu’une époque d’expansion spatiale, le XIIe siècle est celui d’une intensification de la production. En matière d’agriculture ce n’est pas un temps d’inventions techniques brillantes, mais celui d’une diffusion têtue de petits gains de productivité. Il en va de même pour ces grandes activités artisanales que sont la draperie et le travail du cuir. C’est sans doute en matière d’utilisation de l’énergie hydraulique que se fait « le grand bond en avant ».
À première vue ces progrès ne font que confirmer le cadre féodal et seigneurial qui s’est imposé à l’Europe occidentale aux siècles précédents. Les châteaux, de plus en plus forts, dessinent plus que jamais la carte et les cadres des pouvoirs. La mise en culture de nouvelles terres s’est accompagnée d’un mouvement, discret dans la documentation écrite, mais d’une puissance considérable, d’accentuation du volume du prélèvement seigneurial. De la même manière, l’augmentation du nombre des hommes a augmenté la fortune des seigneurs. Un prélèvement normalisé, régularisé a succédé à l’arbitraire affiché des exactions seigneuriales du XIe siècle. Mais il est plus productif, sans pour autant grever les exploitations paysannes : il est assurément bien inférieur aux taux des futurs métayages et fermages.
Même les villes se pensent dans un cadre politique féodal. Elles se déclarent les vassales de leur seigneur. Et les « souverains » qui, surtout dans la seconde moitié du siècle, commencent à constituer les cadres futurs de l’État, expriment leur pouvoir en termes de fief et de suzeraineté. Pourtant l’accroissement démographique des villes déchire l’ancien tissu politique, économique et social. Il peut être spectaculaire dans ces villes champignons que sont Montpellier ou La Rochelle ; ce sont néanmoins des exemples rares. Mais l’urbanisation est partout, transformant tel château et son bourg en une petite ville ; telle ville, protégée par sa vieille enceinte, attire un ensemble de faubourgs populeux et actifs. Le phénomène est très vif en Italie, sur la côte méditerranéenne, en Flandres, en Île-de-France, en Normandie, le long du Rhin. Mais il s’insinue peu à peu partout. Il touche tous les milieux urbains, pas seulement un petit nombre de grands marchands. L’écriture impose à tous sa puissance et ses règles. Les villes grandissent, elles changent aussi en leur centre ; une architecture civile urbaine se fait jour, et les chantiers des cathédrales recomposent le vieux noyau. Si les monastères cisterciens prônent – sans le réaliser totalement – de vivre à l’écart du siècle, c’est dans les cités, à l’ombre des cathédrales, qu’éclot sans doute ce que les médiévistes ont coutume d'appeler la « Renaissance du XIIe siècle » - une expression qu'il convient de discuter. Mais ce sont les dîmes des campagnes qui financent cette modernité.
Traduction et promotion de la langue vernaculaire : l’essor de la littérature en langue française au cours du XIIe siècle, Philippe Haugeard
L’objectif de la communication est de mettre en évidence la place de la traduction dans l’essor de la littérature en langue française au cours de la deuxième moitié du XIIe siècle, et en particulier dans la naissance de formes littéraires nouvelles dont le succès éclatant va profondément marquer la culture européenne et la perception que l’on a de l’imaginaire médiéval. Il est remarquable en effet que ce soit la traduction en langue française d’œuvres latines ou médio-latines qui se trouve à l’origine de ce qu’on appelle désormais le roman, genre littéraire aux contours encore incertains à l’époque et dont les liens avec l’historiographie, très étroits, s’avèrent aussi fondamentaux que difficiles à démêler. De ce mouvement de traduction de textes littéraires et/ou historiographiques latins et médio-latins qui se fait jour vers le milieu du XIIe siècle, nous voudrions définir l’esprit et décrire les conséquences : d’une part ce mouvement répond à des besoins et à des attentes spécifiques qui relèvent de ce que l’on pourrait appeler une « laïcisation » de la culture cléricale ; d’autre part il enclenche un mouvement second, celui de la libre invention, au terme duquel la littérature en langue française acquiert sa pleine autonomie, la langue vernaculaire devenant du même coup langue de culture à part entière.
L’autodéfinition des traducteurs gréco-latins et arabo-latins, Alexander Fidora
Je me propose d’examiner les différentes approches théoriques des traducteurs du XIIe siècle tant gréco-latins qu’arabo-latins. Je tente de rapprocher trois problématiques : la perception linguistique et culturelle que les traducteurs ont des textes source ; la conception de leur rôle culturel et la méthode de traduction qui en dérive ; et, enfin, le sort réservé aux traductions.
L’acculturation latine selon Platon de Tivoli, Max Lejbowicz
Platon de Tivoli a doté d’une préface sa traduction (Barcelone, v. 1140) de ce chef-d’œuvre d’astronomie d’observations que sont les Tables sabéennes d’al-Battānī (début du Xe siècle). Il y évoque l’apport à l’astronomie des Égyptiens, des Grecs et des Arabes. Il constate aussi l’ignorance des Latins en cette matière et, plus largement, dans l’ensemble des disciplines scientifiques. C’est pour la combattre qu’il a traduit le texte d’al-Battānī.
À la faveur d’une analyse de cette préface, je me propose d’examiner la conception sur la vie des langues et des cultures que se sont forgée les traducteurs arabo-latins du XIIe siècle.
Le rôle des traductions dans la naissance de l’université médiévale, Jacques Verger
À côté de facteurs sociaux, politiques et religieux bien connus, l’élargissement du champ des savoirs et l’approfondissement des disciplines ont certainement été des éléments décisifs dans la naissance de l’institution universitaire au tournant des XIIe et XIIIe siècles. Ce vaste mouvement, dont les prodromes remontent au XIe siècle, s’est considérablement amplifié au XIIe et prolongé au moins jusque dans les années 1260 ; il a pu s’agir de la redécouverte et de la « réédition » de textes latins (par ex. ceux du droit romain) mais, dans les domaines de la philosophie, des sciences, de la médecine, voire de la théologie, l’apport des traductions de textes grecs ou arabes a joué un rôle essentiel.
Tout en récupérant le vaste matériau ainsi mis à la disposition des lettrés occidentaux, les universités, et en premier lieu celle de Paris, en mettant sur pied des programmes et des cursus d’études, en séparant les écoles en facultés spécialisées, en développant et contrôlant un marché du livre savant, ont procédé à un travail de tri et de sélection considérable : certaines traductions ont été privilégiées, d’autres écartées ou marginalisées.
Peut-on aller plus loin et envisager que les universités aient été jusqu’à rechercher ou commanditer de nouvelles traductions ? L’usage des traductions a-t-il suscité chez les universitaires une réflexion sur la nature, les limites et les dangers des traductions ?
La présente communication essaiera d’apporter des éléments de réponse à quelques-unes de ces questions.
Ibn al-Haytham : suiveur de Ptolémée ? Une thèse controversée en histoire de l’optique, Jean Celeyrette
Est-ce que l’œuvre optique d’Ibn al-Haytham s’inscrit dans le prolongement de l’Optique de Ptolémée ? Ou marque-t-elle dans la science qu’elle illustre une révolution du type de celle de Copernic en astronomie ? Les spécialistes s’opposent sur ce point. On examinera les arguments de l’une et l’autre thèse. On s’interrogera pour savoir jusqu’à quel point il est possible de trancher, dans la mesure où l’ouvrage de Ptolémée n’est connu que par la traduction latine d’une traduction arabe perdue de l’original grec également perdu. Il faut ajouter que si le traité d’Ibn al-Haytham est intégralement conservé, seule une partie en a été pour l’instant éditée et traduite en anglais, le reste n’étant connu que par un texte latin qui est parfois davantage un résumé qu’une véritable traduction de l’original arabe.
Le tournant avicennien de la philosophie latine, Jean Jolivet
Le « tournant avicennien », c’est le changement dans la philosophie médiévale survenu vers la fin du douzième siècle et le début du treizième. Il y a sur cette question un livre d’Étienne Gilson, L’être et l’essence ; il a paru en 1948, et le grand médiéviste y a pris comme thème directeur la question de l’existence. Ma perspective est différente.
Un cas singulier de l’utilisation de la langue arabe, Olivier Cullin
[Les circonstances ont empêché l’auteur d’envoyer le résumé de son intervention.]
Un autre type de transferts des savoirs arabes : le cas des traductions arabo-hébraïques, Tony Lévy
Entre XIIe et XIVe siècle, la Provence est le théâtre d'un mouvement de grande importance pour les communautés juives : la constitution d'une culture scientifique d'expression hébraïque. Le corpus qui se forme alors a pour source quasi-exclusive les textes scientifiques arabes, lesquels nourrissent l'œuvre des acteurs de ce mouvement (traducteurs, adaptateurs, glossateurs et encyclopédistes juifs arabophones). Il convient de mentionner un événement d'une portée considérable qui accompagne ce processus : la traduction de l'arabe en hébreu du Guide des égarés de Maïmonide (1138-1204).
Je me propose de décrire les grands traits de cette page d’histoire, en y intégrant les conclusions issues des recherches récentes.