Lettre de Princesse de Polignac à Manuel de Falla n°59
16 novembre 1918 (Photocopie confiée par la Fondation Manuel de Falla)
Monsieur,
J'ai, depuis longtemps, une grande admiration pour vos oeuvres musicales, pour les avoir jouées moi-même, et pour les avoir souvent entendues par notre ami Monsieur Richardo Vines, dont vous appréciez comme moi le grand talent. J'avais le projet d'aller en Espagne au mois d'octobre, mais je suis maintenant obligée de retourner à Paris, où je resterai tout l'hiver, et ce n'est qu'au mois de mars que je puis espérer me rendre à Madrid. Si d'ici là vous venez à Paris, j'espère que vous me ferez le plaisir de venir me voir, "43, avenue Henri-Martin", mais, en attendant, je veux vous mettre au courant d'un projet qui pourra peut-être vous intéresser.
Depuis un certain nombre d'années, j'ai eu le désir de former un répertoire de pièces courtes écrites pour un orchestre de 16 musiciens. Dès le début de la guerre je me suis adressée à Monsieur Stravinsky qui a écrit pour moi un ouvrage, sorte d'opéra humoristique à 4 ou 5 personnages, et petit orchestre de 16 (dont je pourrai vous envoyer la composition dès ma rentrée à Paris). Le sujet choisi par Monsieur Stravinsky est un "conte russe". J'ai ensuite demandé une oeuvre dans les mêmes conditions à Monsieur Erik Satie, qui a pris pour sujet "La pie de Socrate". Ces pièces durent environ 25 minutes.
J'ai également demandé un ouvrage à Madame Armande de Polignac, et j'ai le projet de m'adresser également à Monsieur Ravel.
Ce que je veux vous proposer est de bien vouloir écrire une oeuvre pour ce répertoire d'ouvrages d'orchestre réduit et à peu de personnages. Le sujet serait à votre choix, mais devra avoir nécessairement mon approbation. Je dois ajouter que les grandes lignes de la convention sont les suivantes : l'ouvrage doit être terminé dans le courant du mois de juillet prochain ; la partition d'orchestre autographe m'appartient, ainsi qu'une réduction piano et chant, et je garde pendant 4 ans la propriété absolue de l'oeuvre au point de vue représentations.
Après la 1ère représentation, vous auriez toute liberté de faire jouer l'oeuvre en concert. D'autre part, je vous remettrai une somme de 4 000 Francs, dont
1 000F lorsque l'oeuvre sera commencée,
1 000F au mois d'avril prochain, et
2 000F lorsque vous me remettrez la partition et la réduction.
Je n'ai pas besoin de vous dire combien je serais heureuse que vous acceptiez d'écrire un ouvrage, et je viens vous demander de me répondre dès que cela vous sera possible à mon adresse à Paris.
Croyez, je vous prie, Monsieur, à tous mes sentiments les plus distingués.
Princesse Edmond de Polignac.