Sa vie

Publié dans Winnaretta Singer-Polignac

princesse

Winnaretta Eugénie Singer naquit à Yonker (New York), le 8 janvier 1865. Son père était Isaac Merritt Singer, l’industriel américain qui perfectionna la machine à coudre. Il épousa une très jeune Française, Isabelle Eugénie Boyer. Winnaretta était la vingtième des vingt-cinq enfants qu’Isaac Singer eut au cours de sa vie. Bien qu’il ait désavoué les compagnes qui avaient précédé son mariage avec Isabelle Boyer, Singer mentionna tous ses enfants dans son testament et laissa à chacun un legs généreux.

L'enfance

Winnaretta ne passa que les deux premières années de sa vie à New York. Isaac Singer, une fois fortune faite (le don de mille machines qu’il fit à l’Armée de l’Union pendant la Guerre civile contribua sans doute à son rapide succès), alla s’installer à Paris avec sa famille en 1867 et c’est en France que la jeune Winnie Singer fut élevée. Des voyages fréquents développèrent son goût pour l’art. En 1870, à l’approche de la guerre franco-prussienne, la famille Singer qui maintenant s’élevait à huit personnes (Isabelle Singer eut six enfants) partit pour l’Angleterre. Isaac Singer fit bâtir une énorme propriété à Paignton dans le Devonshire, qu’il appela ironiquement “The Wigwam”. Cette somptueuse résidence comprenait plus de cent pièces ; Isaac Singer y organisait d’importantes représentations théâtrales et y accueillit au moins une représentation de cirque. Il venait juste de terminer sa demeure lorsqu’il mourut, le 23 juillet 1875, à l’âge de 64 ans. Isabelle Singer retourna avec sa famille vivre à Paris. Peu de temps après, elle se remaria à Victor Reubsaet, duc de Camposelice. Devenue duchesse, elle acheta un hôtel particulier avenue Kléber. Elle avait 36 ans et était très belle ; le sculpteur Frédéric Bartholdi l’aurait fait poser comme modèle pour la Statue de la Liberté. Le “grand salon” de l’avenue Kléber devint le centre de réunions musicales et artistiques où les interprètes les plus célèbres venaient jouer régulièrement les quatuors à cordes de Beethoven, Mozart et Schubert. Winnaretta partageait la passion de sa mère pour la musique ; d’après ses mémoires, elle ne reçut aucune formation particulière en dehors de ses leçons de piano, mais elle assistait aux nombreux concerts donnés dans le salon familial. À l’occasion de son quatorzième anniversaire, en 1879, elle demanda comme cadeau une interprétation de son morceau favori de Beethoven – le quatuor à cordes en mi mineur, op. 131. Les derniers quatuors de Beethoven étaient alors considérés comme incompréhensibles par la plupart des auditeurs, mais, déjà, Winnaretta faisait preuve de goût, d’originalité et d’un profond amour pour la musique.

La jeunesse

Elle suivit des cours de peinture dans l’atelier de Félix Barrias, qui avait été prix de Rome, et fréquenta l’atelier de Manet. Elle était un peintre accompli – plus tard, ses tableaux furent souvent pris pour des Manet. Elle parlait aussi bien le français que l’anglais, et en 1882, à dix-sept ans, elle fut invitée par la Direction du Louvre à participer à la préparation du catalogue en anglais. Mais la musique resta toujours son sujet de prédilection. Un des grands plaisirs de sa jeunesse fut les étés passés dans le château familial de Blosserville, en Normandie. Ce fût là qu’en 1880 Winnaretta rencontra Gabriel Fauré, qui avait alors trente-cinq ans. Il fut son premier ami musicien; elle devait devenir sa confidente et, ensuite, sa bienfaitrice. Deux ans plus tard, sa mère emmena Winnaretta à Bayreuth pour assister à une représentation de Parsifal et elle devint aussitôt une admiratrice passionnée de la musique de Wagner. Elle retourna souvent à Bayreuth et rallia le flot croissant des amateurs de Wagner, discutant des représentations avec les compositeurs français qui, chaque année, venaient dans ce temple de la musique – Fauré en 1883, d’Indy en 1884, Debussy en 1888 et Chabrier en 1889.

Lorsque la succession compliquée d’Isaac Singer — qui avait laissé deux testaments séparés — fut finalement réglée, en 1877, Winnaretta reçut directement 167.000 dollars du compte d’épargne personnel de son père ; de plus, elle hérita d’une partie de la vente de la Compagnie des machines à coudre Singer, plus de 50.000 dollars en espèces et environ 610.000 dollars en actions. Une autre disposition laissait à Winnaretta une partie de la propriété anglaise. Au bout du compte, le testament d’Isaac Singer faisait de Winnaretta une jeune héritière fabuleusement riche.

L'indépendance

En 1887, Isabelle arrangea le mariage de sa fille avec le Prince Louis de Scey Montbéliard. Winnaretta, qui avait toujours fait preuve d’un esprit indépendant, était ravie d’échapper à la tutelle d’une mère dominatrice, mais elle ne trouva pas le bonheur dans ces nouveaux liens. Leur union resta un mariage blanc (jamais consommé) pendant les quatre ans qu’ils passèrent ensemble, avant que Winnaretta ne briguât et n’obtînt une annulation en cour de Rome. Quelques mois avant son premier mariage, Winnaretta avait acheté un hôtel particulier avenue Henri Martin. Dès 1888, elle reçoit ses amis musiciens dans le chalet, qui est alors à la fois son atelier de peinture et le « hall » de musique, (comme l’appelle Proust dans À la recherche du temps perdu). C’est là que Vincent d’Indy, Emmanuel Chabrier, Ernest Chausson, Gabriel Fauré vont, les premiers, venir jouer, et créer leurs œuvres les plus remarquables. Le premier concert, donné le mardi 22 mai 1888, donne des extraits de Gwendoline, de Chabrier ; de Clair de lune, de Fauré ; d’œuvres de Vincent d’Indy et de Chausson. Fauré est à l’harmonium, Chabrier au piano, d’Indy et Messager aux percussions, avec les chœurs et les orchestres des concerts Lamoureux et du Conservatoire. Au printemps, tandis qu’elle attendait la réponse papale au sujet de l’annulation de son mariage, la princesse s’installa pour une longue villégiature à Venise. Elle loua un petit palazzo sur le Grand Canal, et invita plusieurs de ses amis artistes parisiens, y compris Fauré, à lui rendre visite.

Un court bonheur

Le 1er février 1892, le Vatican annula officiellement le mariage Scey Montbéliard. À la fin de cette même année, Robert de Montesquiou et sa belle et influente cousine, la comtesse Elisabeth Greffuhle, encouragèrent Winnaretta à se remarier pour retrouver une position respectable dans la société aristocratique. L’homme qu’ils avaient choisi pour elle était leur ami, le Prince de Polignac, un célibataire âgé de cinquante-neuf ans, qui avait étudié au Conservatoire de Paris et jouissait alors d’une certaine réputation comme compositeur. Winnaretta et le Prince de Polignac se marièrent le 15 décembre 1893. Ils s’étaient déjà rencontrés quelques années auparavant. D’après Marcel Proust, qui avait rencontré le Prince par l’intermédiaire de Montesquiou, tous deux avaient assisté à la même vente aux enchères – renchérissant l’un contre l’autre sur le même tableau de Monet, le Champ de tulipes à Haarlem. Le prince dépité avait été battu : “Quelle rage, je ressentis ! Ce tableau était emporté par une Américaine qui porte un nom que je maudis !”. Et cette femme était, bien entendu, Winnaretta Singer. Mais il ajoutait ironiquement : “Quelques années plus tard, j’épousais l’Américaine, et devins propriétaire de ce tableau !” Durant leur court mais heureux mariage, le Prince et la princesse transformèrent leur demeure en un glorieux et vibrant salon de musique. Les soirées musicales des Polignac devinrent régulières et très recherchées. Tout ce que Paris comptait alors de personnalités illustres dans les arts, les lettres et les sciences, se pressait dans leurs salons. Mais le Prince avait une santé fragile et et il mourut le 8 août 1901, à l’âge de soixante-sept ans. La princesse se trouva profondément endeuillée par la perte de l’homme qui avait été son meilleur ami et qui avait joué un rôle si important dans le monde de l’art et de la beauté qu’elle avait créé autour d’eux.

La vie pour la musique

En 1904, elle confia à l’architecte Henri Grandpierre la construction d’un nouvel hôtel, avec un salon de musique magnifique, assez vaste pour recevoir confortablement un orchestre de chambre et près de deux cents invités Avec deux salons de musique à sa disposition, elle pouvait accroître ses activités musicales, et elle donna des représentations commémoratives des œuvres de son mari. Le grand salon du 43 de l’avenue Henri-Martin était réservé aux orchestres plus grands ou aux artistes de grande renommée, tandis que l’atelier de la rue Cortambert proposait des concerts avec accompagnement d’orgue ou des soirées musicales plus intimes. Parallèlement, le salon de la princesse de Polignac reflétait l’activité artistique florissante de son temps. Une douzaine de fois par an, les artistes et les aristocrates s’y réunissaient pour un somptueux dîner et ils passaient ensuite dans le salon de musique pour jouir d’un merveilleux évènement musical. La princesse était devenue pour tous ”Tante Winnie” et elle se faisait un honneur de maintenir un niveau d’excellence que ses amis étaient invités à partager, non pour leur rang social ou leur fortune, mais pour leurs talents ou, plus important, leur amour pour la musique.

Les dernières années en Grande-Bretagne

Le plus jeune frère de la princesse, Franklin Singer, mourut à Paris le 10 août 1939. La princesse accompagna sa dépouille en Angleterre pour rejoindre la famille des Singer dans la crypte de Torquay, et elle décida de rester un peu plus longtemps pour rendre visite à des amis. Le 3 septembre, l’Angleterre et la France déclaraient la guerre à l’Allemagne. Le 17 septembre, la princesse écrivit à Nadia Boulanger et à Francis Poulenc que sa famille lui avait demandé de rester un peu en Angleterre. Elle s’installa dans le Devonshire, où elle avait passé ses plus jeunes années. Elle aida à organiser des concerts dont les bénéfices étaient versés à la Croix-Rouge. Au début du printemps 1940, Winnaretta quitta le Devonshire pour Londres. Malgré l’apparence de force indomptable qu’elle montrait en société et le fervent désir de retourner dans sa France bien-aimée qu’elle exprimait si souvent dans ses lettres, la princesse était incapable de se décider à franchir la Manche. Sa santé commença à décliner sérieusement en 1943, bien qu’elle continuât à participer autant que possible à la vie mondaine dans les cercles culturels. Elle organisa plusieurs dîners, parmi lesquels figuraient le ténor Peter Pears, l’éditeur Cyril Connolly – qui l’aida à enregistrer ses souvenirs – l’écrivain Stephen Spender – qui était curieux de l’entendre évoquer ses souvenirs personnels à propos de Proust – les compositeurs Benjamin Britten, Lennox Berkeley, Gerald Berners, et d’autres personnalités artistiques et politiques. La princesse mourut d’une crise cardiaque aux premières heures du 26 novembre 1943. Un service à sa mémoire fut célébré dans l’Église de l’Immaculée Conception à Londres, avec de la musique de Bach, Mozart et Fauré, chantée par Peter Pears accompagné à l’orgue par William McKie. Elle fut enterrée dans la crypte familiale des Singer à Torquay, aux côtés de son père et de son mari. Pour le premier anniversaire de sa mort, Le Figaro fit paraître un article à la mémoire de la princesse de Polignac, regrettant que, sa disparition étant survenue un an plus tôt, “les évènements et la sujétion qui pesaient sur toute expression libre en France ne permirent pas de parler comme il convenait de la princesse Edmond de Polignac et de lui rendre l’hommage qu’elle méritait”. impossible d’écrire la chronique du XXème siècle sans y insérer le salon de l’avenue Henri-Martin et ce palais du Grand Canal… La musique a inscrit à jamais son nom au-dessus de quelques œuvres classiques de notre temps”.