Lettre de Princesse de Polignac à Gabriel Fauré n°58

Publié dans Lettre

(juin 1894 ? non daté Brouillon de lettre ?)

Mon cher Fauré

Je vous ai écrit de Paignton il y a quatre ans une lettre très simple que vous avez peut-être conservée et dans laquelle je vous demandais de me faire une oeuvre sur un poème choisi par nous, et je vous proposais de vous remettre 25 000 frcs pour ce travail. Je retrouve ici à Paignton la lettre pleine de reconnaissance et d'enthousiasme que vous m'avez écrite pour accepter ma proposition qui me semblait alors (d'après votre lettre) inspirée.

Vous en parliez comme d'un grand bonheur et il vous tardait, disiez-vous, de vous mettre au travail pour composer une oeuvre "qui vous appartiendra bien complètement". Depuis, que sont devenus vos projets ou plutôt vos engagements. De mon côté je les ai remplis presqu'entièrement, confiante dans le zèle que vous témoigniez. Je n'ai pas attendu que vous...

...Après un long pourparler avec Bouchor, Samain, vous m'écrivez enfin que vous avez commencé quelque chose, mais peu de temps après vous renoncez à votre projet de Buddha. Alors, en voulant vous laisser toute liberté, je vous propose d'abandonner définitivement le poème de Samain et de me faire une autre oeuvre plus à votre goût. Depuis cette époque, j'ai attendu que vous m'apportiez un nouveau projet ou que vous me reparliez de nos conventions - sujet de tant de conversations- mais vous ne m'en avez plus rien dit et c'est ainsi que s'échouent tous nos projets merveilleux. Et l'accomplissement de l'engagement que vous aviez pris si joyeusement devient une chose pénible - (ce que je croyais être une source de repos) -

J'avoue que je ne comprends pas le pourquoi et le comment de ce changement. Si vous n'aviez pas fait d'autres oeuvres depuis que vous êtes formellement engagé vis à vis de moi, je comprendrais encore, mais ce n'est pas le cas. Ce que je vous écris. je ne charge aucune tierce personne de vous parler de ceci. Nous sommes assez liés pour que je puisse vous parler franchement comme lorsque je vous ai écrit la première fois. Je voudrais savoir ce que vous comptez faire. Voulez-vous me faire une série de mélodies sur des poèmes quelconques ? Choisissez la forme d'oeuvre qui vous conviendra, mais décidons quelque chose. C'est une grande mélancolie de sentir combien nos actions les plus sincères et apparemment les meilleures tournent contre nous et de savoir que ce que je croyais être une source de repos, une occasion rare de faire une oeuvre libre ne devient qu'une source de malentendus et de discussion, pour moi tout particulièrement douloureuse? Vous savez toute mon admiration et mon amitié. j'ai voulu vous donner une preuve de l'une et de l'autre...

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