A la gloire du Roi Soleil | 7 février 2008
Lully et Charpentier
Aujourd'hui, nous allons visiter le grand siècle français ; et je m'en voudrais de commencer la question récurrente du caractère classique ou baroque de l'art versaillais. Au-delà des mots, il nous suffira, ce soir, de rappeler que ce temps fut celui d'une extrême théâtralisation de la vie et de l'art, à laquelle participe bien entendu la musique. C'est pourquoi les musiciens que vous entendrez dans un instant ont imaginé ce concert comme un moment théâtral autant que musical.
C'est d'ailleurs également sous une lumière un brin théâtrale qu'on aborde, bien souvent, le conflit entre les deux compositeurs à l'honneur dans ce programme. On ne manque jamais, en effet, de rappeler que Lully aurait établi sur l'opéra français une sorte de tyrannie - ce qui n'est sans doute pas complètement faux - et que Charpentier, le musicien le plus doué de son temps, en aurait été la principale victime, comme il le suggérait d'ailleurs lui-même en déclarant : « J'étais musicien, bon entre les bons, et comme beaucoup plus grand était le nombre de ceux qui me méprisaient que de ceux qui me louaient, musique me fut un petit honneur et grande charge... »
J'aimerais toutefois proposer une vision moins manichéenne en rappelant d'abord que, si Charpentier fut longtemps tenu à l'écart du monde de l'opéra par le privilège de Lully, cela lui aura permis, paradoxalement, de donner une oeuvre abondante et somptueuse dans le genre de la musique religieuse - qui l'a rendu célèbre et qui fait de lui le plus enregistré des compositeurs baroques français. Il faut souligner aussi que Lully, de son côté, fut un inventeur de musique assez génial pour ouvrir les voies de l'opéra français - et que son cadet allait marcher plusieurs fois dans son sillage, d'abord celui de la comédie, puis celui de la tragédie lyrique avec Médée, composé après la mort de Lully et relativement fidèle au modèle créé par celui-ci.
Il existe par ailleurs un point commun entre Lully et Charpentier, qui ne vient pas de la musique mais du théâtre - puisqu'il s'agit de Molière, avec lequel ils ont travaillé l'un et l'autre, ou plus exactement l'un après l'autre. Il faut rappeler, en effet, que Molière et Lully ont inventé ensemble un véritable genre mêlant théâtre et musique : la comédie Ballet, dont l'exemple le plus célèbre reste le Bourgeois Gentilhomme.
Après dix ans d'étroite collaboration, les deux hommes se sont brouillés (ni l'un ni l'autre n'avaient le caractère facile), et Molière s'est alors tourné vers le jeune Marc-Antoine Charpentier, pour une nouvelle série de comédies entrecoupées d'intermèdes musicaux : Le malade imaginaire, mais aussi La comtesse d'Escarbagnas, dans laquelle Molière a inséré une autre comédie, Le mariage forcé, en remplaçant les musiques de Lully par celles de son nouveau collaborateur. Extrait de cette oeuvre, le morceau que vous entendrez ce soir, en ouverture du programme, montre chez Charpentier un sens théâtral, un talent comique, et même quelque chose de loufoque qui semble annoncer Offenbach avec deux siècles d'avance.
La collaboration de Charpentier et Molière devait toutefois s'interrompre dès 1673, du fait de la mort de ce dernier. Charpentier n'allait revenir au théâtre que des années plus tard, puisque Lully, entre temps, avait acquis le privilège de l'opéra pour se consacrer à l'invention d'un nouveau genre : la tragédie lyrique française.
Le second volet de ce programme est composé de trois scènes magnifiques extraites des opéras de Lully et de son librettiste Quinault. Et me voici intimidé d'en dire plus à ce sujet devant un aussi éminent connaisseur que Philippe Beaussant, auteur notamment de Jean-Baptiste Lully ou le musicien du soleil. Je voudrais seulement préciser, en amoureux de la musique française, que je suis toujours fasciné par l'art prémonitoire avec lequel Lully a su mettre en musique la langue française, annonçant là encore tout le répertoire des siècles à venir.
Il me faut également préciser que les interprètes de ce concert ont choisi d'enchaîner ces trois scènes qui présentent de nombreux points de points communs, ne serait-ce que par leur inspiration mythologique.
Vous entendrez d'abord un extrait de Persée, la neuvième des 13 tragédies lyriques de Lully, qui met en scène la terrible Méduse, furieuse contre les dieux et les humains, et que Mercure tente de convertir aux charmes du sommeil (il faut rappeler que Méduse, dans l'esprit du public de l'époque, représentait aussi les ennemis du royaume de France, terrassés par au quatrième acte par Persée alias Louis XIV).
La seconde scène est extrait d'Isis, et c'est un véritable chef d'oeuvre - admiré je crois par Philippe Beaussant - que ce dialogue entre Pan et Syrinx qui se transforme en roseau et invente du même coup la flûte, d'ailleurs très présente dans l'orchestration de cette page. Vous apprécierez aussi, dans cette page, les échanges plus légers entre nymphes et satyres sur le thème : Pour vivre heureux, aimons sans cesse ; pour vivre en paix n'aimons jamais.
Enfin, le troisième extrait nous ramène à la question du sommeil, non pour vous endormir, mais vous faire entre la sublime scène d'Atys où le Sommeil lui même chante en compagnie de Morphée - qui n'est autre que son fils et l'inspirateur de nos songes. Cet ensemble consacré à Lully s'achèvera par la grande chaconne de son opéra Phaëton - et je pense que vous serez comme moi sensibles à la poésie, aux contrastes, aux couleurs merveilleuses de cette musique.
Nous ne nous éloignerons pas tellement du théâtre en revenant à Marc-Antoine Charpentier qui avait appris en Italie, comment les ressorts dramatiques ont leur place uassi dans le répertoire religieux. Il devait ainsi attirer l'attention de la cour qui le chargea de composer la musique de la messe du Dauphin, puis celle de grands événements touchant à la vie royale, comme la mort de la Reine Marie Thérèse, en 1683.
Pour les cérémonies funéraires qui suivirent, Charpentier a composé plusieurs pages de dimension diverse, comme cette petite version que nous entendrons ce soir : un morceau de théâtre, je le disais, dans lequel on entend d'abord un messager nous annoncer - en latin - la mort de la Reine bien aimée des français. Mais surtout un morceau de musique où Charpentier nous fait apprécier la richesse de son art, son sens des harmonies expressives, son utilisation subtile du silence, tout ce qui rapproche beaucoup ce musicien français de la musique italienne ; tandis que, paradoxalement, Lully né italien est le véritable inventeur d'un genre musical spécifiquement français.
Benoit Duteurtre