Aux sources de la sonate de Vinteuil

Posted in Saison 2011-2012

Avant-propos

Disque - Livre

Le programme du concert est repris dans le livre-disque
Marcel Proust Le Musicien
(Decca)
qui a été enregistré à la Fondation Singer-Polignac

 

La Sonate de Vinteuil

Nous partons ce soir à la découverte de la sonate de Vinteuil – cette œuvre musicale imaginée par Marcel Proust et qui joue un rôle si important dans A la recherche du temps perdu – avec sa fameuse « petite phrase ». Nous tâcherons également de nous faire une idée plus précise de ce compositeur, monsieur Vinteuil, né de l'imagination du romancier.

Mais, pour commencer, je voudrais rappeler que les longues descriptions de la musique de Vinteuil sont souvent considérées comme l'une des tentatives les plus fines d'appréhender, par la littérature, ce que peut être l'émotion musicale. Tentative admirable... et pourtant forcément inaboutie, puisque le propre de l'art est de n'exister pleinement qu'à travers son propre langage, avec ses moyens particuliers ; si bien que la littérature s'avère impuissante à recréer le sentiment musical, quand bien même elle peut l'approcher et l'analyser.

La musique de Vinteuil restera donc une forme d'art conceptuel – c'est à dire inaccompli. Chacun est libre d'entendre ce qu'il veut derrière cette œuvre imaginaire ; et le champ paraît d'autant plus ouvert que les musiques, comme les personnages de Proust, sont toujours une synthèse de plusieurs modèle. Du moins peut-ont tenter de retrouver les musiciens qui l'ont inspiré et les oeuvres qu'il avait à l'oreille en écrivant les scènes musicales de la Recherche.

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J'évoquerai d'abord, pour les laisser de côté, deux grandes figures musicales très présentes dans le roman de Proust, parce que ce sont les deux références capitales, adulées ou rejetées par la bourgeoisie française de la fin du XIXème siècle.

D'abord Beethoven, dont le public découvre alors les derniers quatuors : un engouement partagé par Marcel Proust... qui sait également s'en moquer en nous indiquant que cette musique fait « bomber » le beau front de Mme Verdurin. Ensuite Wagner que Proust admire, même s'il ironise, là encore, sur la religion du progrès en musique, incarnée par Mme de Cambremer « qui se représentait non seulement que la musique progresse, mais sur une seule ligne, et que Debussy était en quelque sorte un sur-Wagner ».

Si ces deux grands maîtres sont les inspirateurs de Vinteuil, ils ne se confondent pas pour autant avec celui-ci ; car Vinteuil est un compositeur français du XIXème siècle, né en 1820, et qui, parallèlement aux peintres impressionnistes, ouvre les voies d'une musique nouvelle.

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Lorsqu'on songe aux compositeurs familiers de Proust, qui ont pu l'influencer d'une façon ou d'une autre pour créer ce personnage, le premier nom qui vient à l'esprit est évidemment celui de Reynaldo Hahn : celui que les biographes de Proust s'accordent à reconnaître comme son meilleur ami, le plus fidèle et le plus proche jusqu'à la mort de l'écrivain.

Proust n'a d'ailleurs pas manqué d'exprimer son admiration pour la musique de Reynaldo Hahn – avec parfois ce brin d'excès dans le compliment qui peut faire douter de sa sincérité, lorsqu'il compare les valses du Ruban dénoué aux derniers quatuors de Beethoven ! Pourtant, les deux hommes se connaissaient trop pour avoir besoin de se mentir et tout laisse supposer que Marcel admirait vraiment l'art de Reynaldo, tout en raffinement et en demi teinte.

Cela dit, Reynaldo Hahn ne ressemble guère à Vinteuil, ne serait ce que parce qu'il est beaucoup plus jeune et pourrait être son petit fils. En outre, son succès, dans les dernières années du XIXème siècle, est surtout lié à ses mélodies avec piano – quand Vinteuil est surtout un compositeur de musique de chambre (la belle sonate pour violon et piano de Reynaldo sera composée en 1927, après la mort de Marcel). C'est d'ailleurs cet exceptionnel talent de mélodiste que nous allons retrouver au début du programme avec deux pages de Reynaldo Hahn – dont le fameux Si mes vers avaient des ailes, sur un poème de Hugo, qui valut au musicien son premier succès à l'âge de 15 ans.

Le second nom qui vient à l'esprit, pour tenter d'imaginer la musique de Proust, est évidemment celui de Claude Debussy, parce que l'un et l'autre incarnent, chacun dans son art, une même profonde rupture. Au seuil de temps modernes, ils représentent avec génie un moment exceptionnel de l'art français. Proust, d'ailleurs, admire sincèrement la musique de Debussy, malgré les réticences de son ami Reynaldo – confirmées par Céleste Albaret : « Reynaldo et Debussy avaient chacun l'indéracinable conviction que l'autre n'avait pour lui que haine ou mépris. Ils se saluaient chez Weber de façon de plus en plus distante, et finirent même par ne plus se saluer du tout. »

Là encore, pourtant, si Debussy présente nombre de points communs avec Proust, il n'en a guère avec Vinteuil qui appartient à la génération de ses professeurs. Et puis, comme on le remarquera dans cette sonate pour violoncelle et piano de 1915, la musique de Debussy est bien plus moderne, brisée dans la ligne, presque cubiste, et semblant s'inventer elle même à chaque mesure. Vinteuil, au contraire, tel que nous le décrit Proust, reste plus fidèle à la tradition de la sonate et du développement thématique hérités de Beethoven.

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Avec Saint-Saëns, en revanche, nous voilà tout proches de Vinteuil. L'un et l'autre appartiennent à la génération des précurseurs ; ceux qui amorcent ce qu'on appellera le « renouveau de la musique française » (Saint-Saëns est né en en 1835, Vinteuil une dizaine d'années plus tôt). L'un et l'autre ont composé beaucoup de musique de chambre, et notamment un « septuor », ce qui n'est pas si fréquent. La principale différence tient dans leur succès, puisque Saint-Saëns est devenu très jeune une gloire mondiale, tandis que Vinteuil est resté un compositeur obscur, simple professeur de piano.

Proust va jusqu'à préciser, dans une lettre à Jacques de Lacretelle, que Saint-Saëns a bel et bien fourni le modèle de la sonate de Vinteuil, avec sa première sonate pour violon et piano : « Dans la faible mesure où la réalité m'a servi, mesure très faible à vrai dire, la « petite phrase » de cette sonate, et je ne l'ai jamais dit à personne, est (pour commencer par la fin) dans la soirée de Saint-Euverte, la phrase charmante mais enfin médiocre d'une sonate pour piano et violon de Saint-Saëns, musicien que je n'aime pas ».

Ce témoignage est évidemment capital, et amusant, puisque Proust avoue qu'une musique médiocre à ses yeux lui a inspiré la sublime petite phrase ! Cette réserve – ou cette coquetterie – ne l'empêchait pas, d'ailleurs, de demander à Reynaldo Hahn, en permission pendant la première guerre mondiale, de lui jouer cette sonate, bien meilleure qu'il ne le dit – ce qui devait enchanter Reynaldo, fervent admirateur de Saint-Saëns.

Les contraintes du programme ne nous permettrons pas d'entendre, ce soir, cette première sonate pour piano et violon, mais nous découvrirons, du même compositeur, une autre œuvre méconnue : sa deuxième sonate pour violoncelle et piano, composée au début du XXème siècle et qui montre sa fidélité à une forme de classicisme très personnel.

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Pour autant, si la vérité historique de la « petite phrase » penche principalement vers Saint-Saëns, Proust dans sa lettre à Jacques de Lacretelle évoque d'autres modèles aussi divers que L'Enchantement du Vendredi saint de Wagner, Schubert, ou encore un « ravissant » morceau de Fauré.

De fait, le monde musical proustien, son époque, ses couleurs semblent trouver un écho idéal dans l'art de Fauré, compositeur familier des salons de l'époque où chacun chantait ses mélodies. Je me plais donc, subjectivement, à entendre dans la sonate de Vinteuil un écho de la première sonate pour violon et piano de Fauré, composée en 1875 à Saint-Adresse, dans cette station balnéaire proche du Havre où Monet, au même moment, peignait plusieurs chefs d'œuvres. Cette composition de jeunesse, né sur la côte normande, à l'ombre des jeunes filles en fleurs, est aussi la première grande sonate du répertoire français moderne, merveilleuse par sa poésie et son lyrisme en demi teinte.

Mais si Fauré est peut-être, poétiquement, le compositeur le plus proustien, César Franck est sans doute celui dont la personnalité se confond le plus aisément avec celle de Vinteuil. Ils sont quasiment jumeaux, nés au début des années 1820, morts dans les années 1890. Ils ont traversé l'un et l'autre des périodes difficiles, avant de connaître le succès sur le tard, lorsque de jeunes compositeurs passionnés les ont reconnus comme des maîtres et des précurseurs.

Mieux encore : ce principe du « thème cyclique », cher à César Franck, et qui fait surgir dans toute la partition un motif continuellement transfiguré, semble étendre et généraliser le principe de transformation évoqué par Proust lorsqu'il décrit la fameuse « petite phrase ».

Benoît Duteurtre

Programme

Oeuvres

Reynaldo Hahn (1874 – 1947)

  • Si mes vers avaient des ailes
  • A Chloris

Magali Léger soprano

Sandra Moubarak piano

 

Marcel Proust (1871 – 1922)

  • Les Plaisirs et les Jours (extrait)

Didier Sandre récitant

 

Claude Debussy (1862 – 1918)

  • Sonate n° 1 pour violoncelle et piano
    • Prologue
    • Sérénade
    • Finale

Anthony Leroy violoncelle

Sandra Moubarak piano

 

Marcel Proust

  • Sur la lecture (extrait)

Didier Sandre récitant

 

Camille Saint-Saëns (1835-1921)

  • Sonate n°2 pour violoncelle et piano
    • Romance

Anthony Leroy violoncelle

Sandra Moubarak piano

 

Gabriel Fauré (1845 – 1924)

  • Sonate n°1 pour violon et piano
    • Allegro molto
    • Andante

Tedi Papavrami violon

Sandra Moubarak piano

 

Marcel Proust

  • La petite phrase de Vinteuil (Du côté de chez Swann)

Didier Sandre récitant

 

César Franck (1822 – 1890)

  • Sonate pour violon et piano (version pour violoncelle)
    • Recitativo Fantasia. Ben moderato
    • Allegro poco mosso

Anthony Leroy violoncelle

Sandra Moubarak piano

Biographies

Magali Léger soprano

Magali Léger a commencé ses études de chant avec Christiane Eda-Pierre, et les a poursuivies avec Christiane Patard au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, où elle obtient le premier prix à l’unanimité du jury en 1999.
En 2003, elle est nommée dans la catégorie « Révélation » des Victoires de la Musique. Elle devient rapidement une habituée des plus grandes scènes de concert et d’opéra (opéras de Lyon, Nantes, Metz et Rouen, Opéra Comique, Grand-Théâtre du Luxembourg, Châtelet, Cité de la Musique, Lincoln Center à New York, Teatro Comunale de Bologne, Vienne, Festivals d’Aix en Provence et de Beaune), où elle aborde aussi bien le répertoire baroque que la création contemporaine, sans négliger le répertoire classique et romantique.
Au contact de personnalités tels que Marc Minkowski, Michel Plasson, Evelino Pido, Eliahu Inbal, William Christie, Emmanuelle Haim, Macha Makeïeff, Laurent Pelly, Raoul Ruiz, Jérôme Deschamps, elle chante dans Mignon, Don Pasquale, La Veuve Joyeuse, Le Roi malgré lui et l’Etoile (Chabrier), Crobyle (Massenet), Werther, l’Elixir d’Amour, Les Pêcheurs de perles, Porgy and Bess, L’Echelle de Jacob (Schönberg) Elephant Man, La Belle Hélène et Orphée aux Enfers, sans oublier Mozart avec le Nozze di Figaro, Idomeneo, L’Enlèvement au Sérail.
Elle est aussi très active au concert, avec orchestre, ou avec les pianistes Rémy Cardinale et Michaël Lévinas, avec lequel elle a enregistré des mélodies de Fauré.
La saison dernière, elle a interprété Minka du Roi malgré lui de Chabrier à l’Opéra de Lyon et à l’Opéra comique de Paris, l’Amant Jaloux de Grétry à l’Opéra Royal de Versailles et à l’Opéra comique sous la direction de Jérémie Rhorer, La vie parisienne d’Offenbach au Capitole de Toulouse, mise en scène par Laurent Pelly. Son premier disque avec son ensemble baroque Rosasolis est consacré aux motets et sonates de Händel.

 

Tedi Papavrami violon

Arrivé très jeune en France, Tedi Papavrami découvrait un pays et une culture qui lui étaient totalement étrangers. Sa curiosité naturelle et son besoin d'apprivoiser la langue française, le poussèrent à dévorer Stendhal, Proust et Flaubert.
C'est donc tout naturellement qu'il reprendra le flambeau de la traduction en français de l'œuvre romanesque d’Ismail Kadaré, qu'il avait connu enfant en Albanie, après la disparition du traducteur albanais Jusuf Vrioni.
Ce violon qui depuis toujours a fait partie de sa vie lui fut transmis dès l’âge de cinq ans par son père, brillant pédagogue. Trois ans plus tard Tedi est capable de jouer les Airs bohémiens de Sarasate avec l'orchestre philharmonique de Tirana.
En 1982, l'Albanie est un pays volontairement coupé du monde. Le flûtiste Alain Marion, de passage pour un concert, remarque le jeune virtuose et le fait inviter à Paris en qualité de boursier du gouvernement français. Il y devient l'élève de Pierre Amoyal au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Des apparitions dans des émissions de télévision de cette époque, telle « Le Grand Echiquier » ponctueront cette période ainsi que lors de nombreux concerts.
Dès ses quinze ans, c’est seul que Tedi poursuivra son développement musical. Peu avant, il avait fuit avec ses parents le régime communiste albanais pour s’installer en France. Des cruelles représailles s’abattirent sur la famille demeurée en Albanie, et ce jusqu’à la chute du régime communiste en 1991. Tedi et ses parents quittèrent Paris afin d’échapper aux fonctionnaires albanais lancés à leur recherche. La famille s’installe à proximité de Bordeaux, où avec l’aide d’amis proches ils peuvent s’établir. A la faveur de plusieurs prix, Tedi entame alors une magnifique carrière de soliste et de musicien de chambre.
En 2003, remarqué par l’actrice Jeanne Moreau, il campe le violoniste Danceny dans les Liaisons dangereuses de Josée Dayan. Il vit désormais à Genève où il enseigne le violon au conservatoire.

 

Anthony Leroy violoncelle - Sandra Moubarak piano

A un peu plus de trente ans, ce duo atteint aujourd’hui une plénitude rare, leur fusion artistique étant de plus renforcée par le fait qu’ils forment un couple dans la vie. Harmonie, sensibilité, délicatesse, brillance, jeu coloré (Jérôme Bastianelli dans Diapason écrit très justement « l’interprétation des jeunes musiciens concilie beauté plastique et caractère bien trempé »), rien d’étonnant à ce que le duo Anthony Leroy & Sandra Moubarak figure parmi les trente artistes internationaux révélés en trente années par Le Monde de la musique aux côtés, entre autres, de Cécilia Bartoli, des frères Capuçon, de Natalie Dessay ou d’Evgeni Kissin.
En 2004, il crée la sensation en voyant son deuxième disque, consacré à Mendelssohn, couronné Diapason d’Or de l’Année, choc du Monde de la musique, coup de cœur Piano magazine, sélection Arte. Son premier enregistrement, consacré à Rubinstein avait déjà été plébiscité (5 Diapasons, sélection Le Monde, 10 de Répertoire, recommandé Classica). Les chaînes Mezzo et La Cinq lui ont consacré un film musical d'une heure, sélectionné pour le « Best of des festivals d'été 2000 ». Le duo Leroy-Moubarak a aussi été sélectionné pour participer au film-documentaire  « L'exil des compositeurs russes » qui réunissait Pierre Boulez, Jean-Claude Casadesus et Manuel Rosenthal.
Enfin, en artistes passionnés au service de ceux qui aiment la belle musique, Sandra et Anthony consacrent