Les Ombres - Georg Philipp Telemann
Programme
Biographies
LES OMBRES
Ensemble baroque de la nouvelle génération, Les Ombres ont été créées en 2006 par Sylvain Sartre et Margaux Blanchard afin de lier étroitement recherche musicologique et interprétation « historiquement informée ».
L'ensemble, parti à la redécouverte des chefs-d’œuvre oubliés des XVIIe et XVIIIe siècles, s’attache à réunir les arts emblématiques du théâtre baroque ; chanteurs, instrumentistes, danseurs et comédiens devenant interprètes d’une même partition.
L’âme des Ombres émane de trois musiciens issus de la Schola Cantorum de Bâle : Sylvain Sartre (flûte traversière), Margaux Blanchard (viole de gambe) et Nadja Lesaulnier (clavecin). Animés d’un souffle artistique audacieux et innovant ils s’entourent de solistes parmi les plus talentueux de leur génération : Mélodie Ruvio, Isabelle Druet, Eugénie Warnier, Lisandro Abadie, Jean-François Lombard, Mariana Flores comme d’instrumentistes spécialistes du jeu sur instruments anciens.
Les Ombres ont été remarquées par Barthold Kuijken et Jesper Christensen et ont été primées au Concours international de musique ancienne de Trossingen avant d’être sélectionnées pour une résidence au Centre culturel de rencontre d’Ambronay. Après avoir représenté la France en 2011 au Showcase Rema à Porto (Portugal), Les Ombres enregistrent en 2012 l’intégrale des Nations de François Couperin chez Ambronay Éditions. Le disque a reçu un accueil enthousiaste de la presse : Choc de Classica, Quobuzissime, coup de coeur du jardin des critiques de France musique, Muse d’or.
L’ensemble se produit à travers le monde : opéra-théâtre de Saint-Étienne, opéra national de Montpellier, amphithéâtre de l’opéra de Lyon, festival d’Ambronay, festival Sinfonia en Périgord, festival Marin Marais, collège des Bernardins (Paris), Les Jardins d’Agréments (Amilly), festival Jeunes Talents (Paris), festival Labeaume en musiques, festival de musique ancienne de Fribourg (Suisse), Freunde Alter Musik Basel (Bâle), York Early Music Christmas Festival (York), Fabulous Fringe (Utrecht), Hakuju Hall (Tokyo), Sala Greppi (Bergamo).
En résidence à Montpellier depuis novembre 2013, Les Ombres bénéficient du soutien du ministère de la culture, de la DRAC Rhône-Alpes, de la région Rhône-Alpes, de la Spedidam, de l’Adami et de la Fondation Orange. Les Ombres sont membres de la FEVIS et de la PROFEDIM.
L'ensemble est en résidence à la Fondation Singer-Polignac.
Margaux Blanchard direction artistique et viole de gambe
La violiste Margaux Blanchard découvre enfant la musique baroque au cours de sa formation à la polyphonie vocale. Pianiste de formation et fascinée par le courant musical « impressionniste » du début du siècle, elle lui trouve une correspondance avec la variété de la musique baroque. Elle se révèle à la viole de gambe auprès d’Ariane Maurette et se perfectionne auprès de Paolo Pandolfo, Jordi Savall et Jérôme Hantaï. Diplômée de la Schola Cantorum Basiliensis en 2009 et lauréate de la fondation Kiefer Hablitzel, elle se produit au sein de divers ensembles (Cappella Mediterranea, Gilles Binchois, Clément Janequin) et avec Les Ombres qu’elle fonde en 2006 avec Sylvain Sartre. En 2014 elle se produit dans de nombreux festivals (Ambronay, Aix-en-Provence, Sablé) et théâtres lyriques (Montpellier, Saint-Etienne, Versailles, Lille, Lisbonne). Elle a également enseigné la viole de gambe au Conservatoire à rayonnement régional de Rennes en 2011.
Sylvain Sartre direction artistique, flûte traversière et piccolo
Après des études de piano et de flûte traversière, Sylvain Sartre découvre la richesse des répertoires de la Renaissance et du baroque. Charmé par la sonorité de la flûte en bois, il se forme auprès de Annie Ploquin-Rignol, Philippe Allain-Dupré puis de Marc Hantaï à la Schola Cantorum de Bâle où il obtient son Master of arts in musical performance. Il travaille en tant que flûtiste auprès de chefs renommés tels que Hervé Niquet, Leonardo García Alarcón, Chiara Banchini et Jordi Savall. Passionné par la direction, il intervient auprès de nombreux chœurs et maîtrises et assume la direction artistique des Ombres avec Margaux Blanchard. Depuis 2008, il poursuit des recherches sur des manuscrits oubliés du répertoire français du 18e siècle, travaux récompensés par la Fondation de France. En parallèle, Sylvain Sartre dirige le projet de Centre culturel de rencontre du Château de l'Esparrou (Pyrénées-Orientales).
Varoujan Doneyan violon
Varoujan Doneyan obtient son diplôme de violon moderne au Conservatoire national supérieur de Paris dans la classe de Boris Garlitsky en 2007. Il poursuit son cursus dans la classe de Rainer Kussmaul à Freiburg de 2008 à 2009. Il étudie ensuite pendant deux ans avec Mira Glodeanu au conservatoire de Bruxelles où il vit actuellement. Varoujan est membre du quatuor Maeterlinck et se produit régulièrement avec des ensembles tels que le Freiburger Barockorchester, Le Cercle de l'Harmonie, Le Poème Harmonique, B'Rock et Les Ombres.
Jonathan Pešek violoncelle
C'est à Trossingen que Jonathan Pešek étudie le violoncelle moderne avant de poursuivre ses études à la Schola Cantorum Basiliensis dans la classe de violoncelle baroque de Christophe Coin. En 2003, il remporte le 1er prix et le prix du public du concours Musica Antiqua de Bruges avec l'ensemble L’Ornamento dont il est co-fondateur. Il participe à la création et joue régulièrement avec de nombreux ensembles comme Capriccio Basel, l'ensemble Inégal, Collegium 1704 et Musica Fiorita. Premier violoncelliste de l'orchestre La Cetra, il a participé à de nombreux enregistrements radio et enregistré pour les labels Pan Classics, Nibiru, SWR et Deutsche Grammophon. Depuis 2009 Jonathan Pešek enseigne le violoncelle baroque à la Hochschule für Musik de Freiburg im Breisgau en Allemagne.
Nadja Lesaulnier clavecin
Nadja Lesaulnier a étudié le clavecin avec P. Hantai, E. Joyé et B. Martin et approfondit la musique de chambre avec M. Kraemer à l'École supérieure de musique de Barcelone. Elle entre à la Schola Cantorum de Bâle dans les classes de J.A. Bötticher, A. Marcon et J. B. Christensen où elle obtient son diplôme de soliste et de basse-continue avec félicitations du jury. Distinguée par les prestigieux concours internationaux de Melk, Bologne ou Leipzig, Nadja Lesaulnier se produit régulièrement en tant que soliste et continuiste avec le Venice Baroque Orchestra, l'orchestre La Cetra, l’European Union Baroque Orchestra 2008, sous la direction de L.U.Mortensen, R. Goodman et E. Onofri à Vienne, Venise, Melk, Utrecht et Philadelphia. Elle est co-fondatrice de l’ensemble Les Ombres, et du duo de clavecins Le Petit Concert Baroque.
Présentation
Telemann à Paris
1737. À cinquante-six ans, Telemann éprouve le besoin de prendre du recul. Fatigué par des tâches écrasantes, longtemps éprouvé par des soucis domestiques enfin réglés, dégagé de ses responsabilités à l’Opéra, devenu une simple maison d’accueil faute de moyens financiers, mais fort d’une renommée européenne qui le fait considérer comme l’un des plus grands compositeurs vivants, il peut enfin songer à s’octroyer une pause dans sa vie professionnelle.
Et pourquoi pas un séjour à Paris ? Lui-même le rapporte dans son autobiographie : « J’avais de longue date projeté de me rendre à Paris, où quelques musiciens de cette ville m’avaient depuis plusieurs années invité, me connaissant déjà par quelques unes de mes œuvres imprimées qu’ils avaient trouvées à leur goût. Ce voyage eut lieu à la St-Michel de 1737, et je n’en revins qu’au bout de huit mois ».
Connu à Paris, certes. Des éditions « pirates » y circulaient. Dès 1728, Ballard avait édité des Duos choisis de brunettes, de menuets et autres airs pour la flûte et le hautbois. Six autres recueils avaient depuis vu le jour, chez Leclerc. En 1733, le grand recueil de sa Musique de table y avait trouvé bien des souscripteurs. Et voici que le même Leclerc venait de donner une édition des Quadri. Paru à Hambourg en 1730, ce recueil de quatuors avait connu un retentissement tel qu’ils circulaient dans toute l’Europe en diverses éditions plus ou moins correctes. Devant ce succès, Leclerc les publie à Paris, prenant soin d’avertir que « les Quatuors de Telemann ont été si universellement approuvés qu’on a cru faire plaisir au public de lui en donner une nouvelle édition, mieux gravée et en meilleur papier, que toutes celles qui ont paru jusqu’à présent. On espère que les soins qu’on a pris, non seulement répondront à la beauté de cet ouvrage, mais seront aussi d’une grande utilité pour sa parfaite exécution ».
De Hambourg, le musicien se met donc en route pour la France au début de l’automne de 1737, et arrive à Paris au plus fort de l’activité culturelle de la capitale. Couvents et églises en grand nombre y dispensent l’enseignement de la musique, et dans les principales paroisses, où il se fait de la musique vocale de qualité, officient à l’orgue certains des plus brillants virtuoses du siècle. Le spectacle est fort prisé, la Comédie Française, divers théâtres, dont le théâtre de la Foire ou Opéra Comique. Quant à la vie musicale, elle est alors dominée par deux institutions importantes, l’Académie Royale de Musique et de Danse, qui représente tragédies lyriques ou comédies-ballets dans sa salle du Palais-Royal, et le Concert Spirituel, au palais des Tuileries depuis une douzaine d’années. Initialement voué à la musique religieuse, son répertoire s’était élargi à la musique instrumentale, et pas seulement française, puisque c’est là que les amateurs parisiens purent découvrir les œuvres de Haendel et de Telemann, les premiers compositeurs allemands joués en France, avant Haydn et Mozart.
A Paris, Telemann est accueilli par la haute société aristocratique éprise de musique, le prince de Conti en tête. Il s’établit chez Antoine Vater, facteur de clavecins à la cour. A peine est-il arrivé que l’Académie Royale de Musique donne la première représentation de Castor et Pollux de Rameau. On imagine bien que, féru d’opéra, Telemann s’y soit précipité. Excellente occasion pour découvrir le nouveau chef-d’œuvre, en acquérir la partition, immédiatement éditée, et très certainement faire la connaissance du compositeur, même si rien ne l’atteste. Comment supposer qu’il ait pu en aller autrement ? De deux ans seulement le cadet de Telemann, Rameau est alors le compositeur le plus en vue en France. Il a déjà publié dix ouvrages théoriques que connaît vraisemblablement Telemann, dont le Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, dès 1722, et en 1737 même, la toute nouvelle Génération harmonique. Hommes mûrs, déjà, tous deux sont passionnés par l’opéra et, à des degrés divers, par la théorie musicale ; peut-être même la rencontre de Rameau a-t-elle catalysé chez Telemann le désir de théoriser sur la musique. Et le musicien ne manqua certainement pas non plus d’aller écouter, en pleine « Querelle des Lullistes », une reprise d’Atys de Lully à l’Académie royale de musique. Ce qu’il en dit dans sa correspondance ultérieure montre sa bonne connaissance de l’ouvrage et de la langue française.
Mais l’infatigable compositeur ne peut se contenter de rencontrer et d’écouter les uns et les autres. Il travaille, et se fait jouer avec grand succès, principalement au Concert spirituel. « J’ai également composé pour les amateurs deux Psaumes latins à deux voix avec instruments, nombre de concertos, une cantate française intitulée Polyphème, une symphonie bouffonne au modèle du Père Barnabas ; et j’ai laissé la partition de six trios à imprimer ». Ce n’est pas tout. De même qu’à Hambourg il pratiquait une activité d’éditeur de musique, il obtient au début de 1738 un privilège royal de vingt ans lui permettant de publier ses œuvres à Paris et lui en garantissant l’exclusivité. A ce titre, il fera éditer en effet deux ouvrages. « Je fis graver sur cuivre de nouveaux quatuors, payés à l’avance par souscription, et six sonates, consistant entièrement en canons mélodiques. » Il s’agit des XIIX Canons mélodieux ou VI sonates en duo à flûtes traverses ou violons ou basses de viole, et du célèbre recueil de Nouveaux Quatuors en six Suites à une flûte traversière, un violon, une basse de viole ou violoncelle et basse continue.
Le recueil va connaître le plus grand succès. À Hambourg, alors qu’il se consacrait surtout à l’usage domestique des amateurs, Telemann avait rassemblé en 1730 un volume de six Quadri, morceaux en quatuor destinés aux professionnels les plus distingués (deux Concertos à l’italienne, deux Sonates à l’allemande et deux Suites à la française). À présent, le voici qui offre à ses amis les solistes du Concert Spirituel une nouvelle série de morceaux en quatuor, pour la même formation que la première et eux aussi à l’intention des virtuoses les plus chevronnés. Sur la partie de violon figurent les « Noms des Souscrivants », c'est-à-dire la liste des 294 souscripteurs, 155 pour la France, dont des princes et aristocrates de haut rang, et 139 de l’étranger – et parmi ces derniers, celui de son cher ami « M. Bach, de Leipzig ».
Les Nouveaux Quatuors sont aussitôt joués par les meilleurs musiciens français du temps, à qui le compositeur tresse les plus vifs éloges : « Les mots ne pourraient décrire la façon admirable dont les quatuors furent interprétés par MM. Blavet, flûte traversière, Guignon, violoniste, Forcroy fils [Forqueray], gambiste, et Edouard, violoncelliste. Qu’il me suffise de dire qu’ils frappèrent les oreilles de la Cour et de la Ville de façon inaccoutumée, et me valurent en peu de temps une faveur presque générale accompagnée d’une extrême courtoisie ».
Le recueil des douze Quatuors « Parisiens » comprend donc les six Quadri édités à Hambourg en 1730 puis réédités à Paris, et les Six Nouveaux Quatuors composés à Paris en 1738, tous destinés à la même formation d’une flûte, d’un violon, d’une viole de gambe et d’un clavecin pour la basse continue, ici renforcée d’un violoncelle comme cela se pratiquait au XVIIIe siècle. Il ne faut cependant pas s’abuser sur cette dénomination de « parisiens » : édités à Paris, composés à Paris pour les six Nouveaux Quatuors, mais sans prétention à se plier à quelque manière française. Les uns et les autres sont tout au contraire révélateurs de cette « réunion des goûts » prônée par Couperin et opérée par les grands maîtres du Baroque tardif, au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, Telemann et Bach en particulier. Européens, les styles, les rythmes, les formes venus de France, d’Italie, d’Allemagne, voire de Pologne, en une synthèse les dépassant.
Dans cette fusion des genres et des styles qui allait aboutir à un langage européen unifié dans la seconde moitié du siècle, Telemann emprunte à l’ancienne sonata da chiesa italienne en quatre mouvements alternés pour les deux Sonates de 1730, en la majeur, avec son introduction lente marquée soave, et en sol mineur. Mais il se tourne vers la France avec le sixième des Nouveaux Quatuors. Ainsi, la succession de mouvements de l’introduction, qui procède de l’ouverture à la française de Lully, mais avec des figurations de violon à l’italienne. Françaises également, les indications de caractère des différents morceaux, jusqu’à À discrétion, Gai, Gracieusement ou Distrait, autant d’invitations à jouer avec la plus grande liberté ces pages où se manifeste l’imagination sans cesse renouvelée du compositeur.
Liberté : l’ensemble Les Ombres s’est plu à interpoler, dans le Modéré conclusif du dernier des Nouveaux Quatuors, un Menuet à deux cornes de chasse, transposé, tiré de la Huitième Leçon du Fidèle Maître en musique, toujours de Telemann qui tenait à ouvrir à ses lecteurs le champ à toutes les adaptations possibles.
Avant de quitter la France, Telemann confie à Vater le soin de publier un recueil de Sonates en trio, composées pour les flûtes traversières, les violons et autres instrumens, les trois premières sont à deux dessus et basse, et les 3 suivantes à trois dessus sans basse. Le recueil verra le jour quelque temps plus tard, tandis que ses œuvres continuent à rencontrer à Paris un accueil favorable. Il s’en revient donc à Hambourg à la Pentecôte de 1738. « Je m’en allai pleinement satisfait, avec l’espoir de revenir ». Le retour à Hambourg dut s’accompagner de moult commentaires, pour qu’un journal ait pu annoncer que « M. Telemann obligera beaucoup les connaisseurs de musique si, comme il le promet, il décrit l’état présent de la musique à Paris, ainsi qu’il a appris à la connaître par sa propre expérience, et par là s’il cherche à faire aimer toujours davantage chez nous la musique française, qu’il a si fort mise à la mode en Allemagne ». Et c’est bien ce qui s’est produit…
À l’apogée du baroque et loin de tout formalisme, Telemann célèbre dans ces quatuors la réunion des langages européens de son temps. Son imagination s’y renouvelle sans cesse dans le but unique de séduire et de charmer. Un bonheur de tous les instants.
Gilles Cantagrel