Lettre de Robert d'Humières à la Princesse de Polignac n°143

Publié dans Lettre

Lettre à en-tête Frankfurt 

23 août. Non daté.

Chère Madame,

Je me permets cette lettre sur la foi de votre aimable invitation, pour vous tenir au courant de mes mouvements.

J’accompagne Paul Helleu jusqu’à Cologne, d’où je rentrerai directement à Compiègne après-demain. Le lendemain 26, je viendrai déjeuner comme vous me l’avez demandé.

Il me semble vous avoir quittée il y a cent ans. Mes souvenirs de Bayreuth se pressent en foule - surtout ceux de ce dernier jour. Que je voudrais vous dire tout ce que j’ai au coeur en dépit des conventions - Je suis maladroit aux sourdines discrètes et aux vibrations contenues. J’en suis tout secoué, de ces souvenirs, - ils ne me quittent pas -, pourront-ils me quitter jamais ! Ils sont les plus chers de ma vie - nés au milieu de telles extases qu’ils en sont pour toujours divinisés. Ne riez pas de mon lyrisme - il est la sincérité même. Ce sont des éternités qui me séparent du moment où je vous reverrai. Si vous avez quelque chose à me mander, mon adresse est Compiègne, Oise, tout simplement. Francfort est une ville cossue et juive - on sent que l’usure y a fleuri et que ces gens y jouissent dans l’aisance et la considération du fruit de leurs forfaits. Paul Helleu dîne dehors. J’ai passé moi-même ma soirée au Palmengarten0, avec mes souvenirs, parmi les bourgeois, les jets d’eau et les valses de Strauss. En être réduit à vous dire ces choses... Je vous baise les mains, Chère Madame, du plus respectueux de mon coeur. Pardonnez-moi cette lettre : si elle est bête, vous savez pourquoi, et croyez-moi

Your ever devoted

Robert d’Humières1 .

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