Lettre de Reynaldo Hahn à la Princesse de Polignac n°139
2 janvier
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Pardon de ce papier, mais nous sommes en guerre !
Ma chère Princesse, Votre lettre charmante (et trop flatteuse) m’a causé un double plaisir : celui de l’amitié satisfaite, et celui de l’intelligence ravie. J’ai trouvé excellente votre expression : lutte avec certaines oeuvres. Lutte qui pourrait faire pendant à celle de Jacob avec l’Ange - mais avec un ange qui se servirait de gaz asphyxiants !
Je suis très heureux que vous me mettiez en opposition avec ces gens-là. Vous savez quel soin j’ai toujours apporté à pas m’inféoder à leurs odieuses associations. Ma musique est ce qu’elle est, mais elle ne sera jamais celle qu’ils aiment, et j’en suis bien heureux ! Le mot du Prince est très juste, comme tout ce qu’il disait et pensait. Le goût véritable n’indique pas, certes, qu’on ait du coeur ; mais il signale, dans le coeur, un petit coin secret et privilégié ; malheureusement, ce petit coin-là est très sensible, très douloureux, et ceux qui le cultivent connaissent rarement le « parfait bonheur » !
Au revoir. J’ignore si Lady Ripon1 est vivante ou morte ; ce dernier état pourrait seul justifier son silence après certaine lettre que je lui écrivis il y a un an ! Never mind ! Elle perd un ami qui l’aimait beaucoup. -
Votre respectueux et affectionné Reynaldo Hahn.
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