Lettre de Louise de Vilmorin à la Princesse de Polignac n°178

Publié dans Lettre

Voeux

pour la Princesse

Edmond de Polignac

 

Princesse,

Ainsi que les pédicures habiles

de notre poésie préférée

j'aimerais me rendre à domicile

vous faire mes voeux de bonne année.

Bonne année! bonne année !

Minuit va sonner,

minuit sonne,

hélas ! Je ne puis en personne

vous remercier, vous embrasser,

vous dire : « je vous aime »,

puisque vous êtes partie,

('à quelle heure ? Quelle nuit ?)

me laissant blême

de jalousie

pour passer le nouvel an

dans le midi naturellement.

 

Ô fureur ! Ô rage !

Comme un oiseau dans sa cage,

ou comme un écureuil,

je tourne en rond,je piétine

en imaginant le paysage,

la plage (ô doux écueil

des poésies latines,

ô douce patrie des chanteurs)

ou vous passez loin de moi cette heure

des baisers et des voeux de bonheur.

 

Etre à minuit dans le midi,

pourquoi m'avoir fait cela ?

N'y a-t'il vraiment sur terre

d'autre endroit que celui-là

pour à minuit

lever son verre ?

N'y a t'il pas Verrières ?

Etre à minuit dans le midi !

Ah pour ne pas pleurer je ris !

 

A Verrières ce soir

les roses de fin d'année

sont les fées du noir

jardin, au bord des allées.

Un oiseau de nuit

vient de chanter minuit.

C'est un solitaire des espaces

tout chargé de souvenirs,

un valseur aux ailes lasses

d'avoir trop aimé le plaisir

de ses ailes, et qui sur ma fenêtre posé

regarde celle

qui va oser

sourire aux jours blancs de l'avenir.

 

Oiseau, bel oiseau,

fleurs d'hiver aux coeurs pleins d'eau,

parlez pour moi, portez mes voeux,

aidez mon coeur malheureux

à se faire entendre.

Dites lui que ma pensée est tendre,

et constante et fidèle ;

volez pétale, volez oiseau à tire d'aile.

 

Louise de Vilmorin

1er janvier 1937

Verrières.

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