Lettre de Louise de Vilmorin à la Princesse de Polignac n°177
Princesse,
Je me permets de vous envoyer ces deux petits poèmes nouveaux-nés. Je serai heureuse si vous les aimez. Et maintenant pour une semaine j'abandonne la page blanche, l'encre, et la plume pour la guitare, en vue de notre soirée de samedi !
Veuillez croire, Princesse, à ma respectueuse affection.
Louise de Vilmorin
Loulou
14 juin 1936
Le guide
Le guide, voilà, je suis le guide
Qui sans rire pointe du doigt
vos goûts, qui dicte vos émois
et trace vos voyages au delà des liquides.
Je suis le guide vers le blanc,
vers le tête-à-tête dans l'espace,
je distrais les dames lasses
par mes tours de passe-passe un instant.
Je suis le guide, le violon,
l'ombre charmante de moi-même
je conduis vers le pur et blême
et vers les rimes sans raison.
Profitez-en Messieurs et dames
je ne vivrai qu'une saison,
Visitez mes états d'âme
aux larges plaines sans horizons.
Ouvrez mes boîtes, n'ayez pas peur :
mes bijoux sont à l'intérieur.
Suivez le guide.
LV.
Aux officiers de la garde blanche
Officiers de la garde blanche
Gardez-moi de certaines pensées la nuit,
Gardez-moi des corps à corps et de l'appui
d'une main sur ma hanche.
Gardez-moi surtout de lui
qui par la manche m'entraîne
vers le hasard des mains pleines
et les ailleurs d'eau qui luit.
Epargnez-moi les tourments en tourmente
de l'aimer un jour plus qu'aujourd'hui
et la froide moiteur des attentes
qui presseront aux vitres et aux portes
mon profil de dame déjà morte.
Officiers de la garde blanche,
je ne veux pas pleurer pour lui
sur terre, je veux pleurer sur pluie
sur sa terre, sur son astre orné de buis
lorsque plus tard je planerai transparente
au dessus des cent pas d'ennui.
Officiers des consciences pures,
vous qui faites les visages beaux
confiez dans l'espace au vol des corbeaux
un message pour les chercheurs de mesure
et forgez pour nous des chaines sans anneaux.
LV.
{gallery}correspondances/245{/gallery}