Lettre de Igor Markevitch à la Princesse de Polignac n°45

Publié dans Lettre

56 avenue des Alpes La Tour de Peilz

  26 décembre 1933

 

Princesse,

Permettez-moi de venir vous exprimer tous mes voeux de santé et de bonheur les plus sincères pour la nouvelle année qui vient. Je n’ai pas besoin d’insister pour que vous sachiez combien j’y mets de coeur, car vous connaissez mon affection et toute la reconnaissance que j’ai pour la bonté que vous m‘avez toujours témoignée, sentiments qui ne me quittent pas chaque fois que je pense à vous. Je souhaite seulement que vous les distinguiez dans le lot des lettres de nouvel an, comme ils ont en moi une toute première place.

Ici les fêtes se déroulent suivant des rites ancestraux et inviolables, et le respect des Suisses pour les petits arbres, les pains d’épices et les vacherins à la crème fouettée est si profondément grave que je me demande ce qui reste pour Dieu... Comme je posais cette question à une brave dame qui semblait se trouver très bien de ce régime festival, elle me répondit avec le plus grand sérieux « que ces friandises étant les plus douces manifestations du Seigneur, c’était bien le servir que de leur faire honneur ! » J’ai eu pour les vacances de Noël la visite de ma famille qui passe encore quelques jours avec moi ; puis ils me laisseront jusqu’en mars, et je vais commencer une Cantate sur le Paradis perdu de Milton que je compte faire lentement, comme ce doit être une oeuvre longue et qui s’annonce très difficile. J’espère la visite de Marie-Laure qui est à Hyères, et je pense venir à Paris au début de mars, car il est question de donner le Psaume au deuxième concert de la Sérénade. Heureusement le médecin me trouve beaucoup mieux qu’au printemps dernier ; il me fait un régime pour me fortifier, mais m’a dit que le poumon était en voie de guérison. Je n’oublie pas, Princesse, que c’est à vous que je dois d’avoir pu me faire du bien cet été. Je vous en ai dit déjà ma reconnaissance, mais vous remercierai-je jamais assez ? Cela me paraît impossible quand je repense à l’abattement dans lequel m’avait plongé le diagnostic du médecin en juillet, et que je me souviens combien grâce à vous les choses m’ont paru ensuite plus arrangeables !

Je tiens à vous dire encore tous mes voeux pour 1934, et je vous prie, Princesse, de croire à mon toujours très affectueux dévouement.

Igor Markevitch

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