Lettre de Gabriel Fauré à la Princesse de Polignac n°36
(septembre 1894 ? non daté)
Chère Princesse
J'ai reçu votre lettre si affectueuse et j'en ai été bien sincèrement touché. Si je ne vous ai pas répondu c'est que je suis tellement submergé par le spleen que la crainte de la communiquer à mes amis m'enlève tout désir d'écrire ! Comme travail, j'ai terminé le 6eNocturne dont je vous parlais et j'en suis aux dernières mesures d'une 5e Barcarolle. Ceci fait, je vais reprendre pour ne plus le quitter le quintette, espérant que la première audition aura lieu chez vous cet hyver !
Mon petit Philippe est toujours couché et je ne prévois pas quand le médecin lui permettra de se lever. Le grand va mieux. Maison peu gaie comme vous pouvez le penser ! Est-ce-que vous n'approuvez pas mon entêtement à écrire pour le piano ? Ne pensez-vous pas qu'on finira bien par jouer ces pièces avec le temps, de même qu'on a mis bien du temps à se décider pour mes pièces de chant ? La musique moderne de piano un peu intéressante est rarissime, n'existe pour ainsi dire pas !
Que fait le Prince ? Travaille-t-il ? Je ne sais pas s'il se doute de la réelle impression produite par son Pilate sur les gens pas imbécilles !
Rappelez-moi je vous prie à son souvenir ! Et tant qu'il vous plaira de me donner de vos nouvelles, croyez que vous me ferez toujours un immense plaisir, et n'oubliez pas que le plaisir est rare dans ma cage d'écureuil !
Vous êtes dans un joli pays. J'y voudrais bien être aussi près de vous.
A bientôt n'est-ce-pas ? Recevez l'expression de mon profond et bien respectueux dévouement
Gabriel Fauré
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