Lettre de Gabriel Fauré à la Princesse de Polignac n°26

Publié dans Lettre

Mardi (23 juin 1891 ? non daté)

Chère Princesse,

Je me suis enfin décidé à faire ma rentrée à la Madeleine ce matin et vous savez ce qu'on m'y a dit ? Que j'avais eu bien tort de rentrer si tôt ! C'est désolant ! On me croyait à Rome ! Et vous savez si formidablement combien je voudrais y être allé !

A la Madeleine aussi j'ai trouvé cette lettre de Verlaine, datée du 2 juin et que le concierge de l'Eglise n'a pas songé à envoyer chez moi d'où on me l'eût adressée à Venise.

Je l'aurais reçue près de vous et nous eussions pu tout de suite demander des éclaircissements nécessaires sur ce titre inquiétant "L'hôpital Watteau" ! Dès que j'aurai votre réponse, j'irai ou je n'irai pas voir Verlaine suivant ce que vous m'aurez dit. Peut-être vaudrait-il la peine d'aller voir de près cet étrange projet ! Ne sera-t-il pas toujours temps, s'il ne me paraît pas en harmonie avec vos aspirations et les miennes, (permettez-moi de rêver que nous sommes d'accord !) de lui dire que vous n'avez jamais songé à une fantaisie comique et que vous ne la désirez pas ! Bouchor avec qui j'ai rendez-vous demain, comprendrait avec son extrême délicatesse que nous laissions en suspens, jusqu'à nouvel ordre, nos agréables projets de collaboration.

Voici des nouvelles d'ici : Duez est douloureusement mais non gravement souffrant depuis 24 heures. Il a l'estomac malade et comme tous les géants, rarement entamés par le mal, il geint beaucoup ! Henriette est fort occupée de son départ pour Croissy, de sa mère malade, de mille choses. Il paraît qu'elle vous a envoyé hier une dépêche que vous n'avez pas comprise ; je n'en suis pas surpris et je ne l'aurais pas comprise davantage ! Mais je sais que son intention était bonne et qu'en vous envoyant le nom du morceau que Roger chantait tout le temps à Venise, elle voulait simplement vous égayer !

Est-ce-que je ne vous ennuie pas avec tant de lettres, de dépêches ! Il semble que je frappe constamment à votre porte tandis que vous voudriez la paix et la tranquillité ? Si vous saviez comme il me tarde, comme il me tarde ! Votre mille fois reconnaissant Gabriel Fauré

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