Lettre de Gabriel Fauré à la Princesse de Polignac n°28

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(juillet (?) 1891 ? non daté)

Chère Princesse

Je n'aurais jamais cru que j'aurais à ce point la nostalgie de l'Italie ! Mon esprit se promène toujours en gondole dans une barcarolle ininterrompue ! Cela est fort triste car rien ne ressemble moins à une barcarolle que mes occupations et rien n'est plus dissemblable que la Madeleine et l'Eglise des Frari! J'en arrive à ne plus même vous parler de ce délicieux passé tant je sens que nos autres compagnons ne sont plus à l'unisson. Leurs esprits, probablement plus actifs que le mien, se contentent des éléments ordinaires que chaque jour leur apporte. Je leur envie cette faculté d'attendre une distraction de chaque heure nouvelle au lieu de s'enfoncer à plaisir dans des regrets stériles ! Mais ce qui me paraît le plus cruel c'est la constatation absolue qu'aucun de vous n'est resté complètement le même. Tous vous avez changé plus ou moins. Pour vous qui avez mille soucis et qui avez traversé de véritables ennuis, ce petit changement s'explique trop, hélas ! Et combien je voudrais qu'il fût en mon pouvoir de dissiper toutes vos pénibles préoccupations!

i je ne vous en parle jamais ne croyez pas que je n'y pense pas sans cesse ? Malheureusement je n'y puis que penser, ce qui ne vous est que d'un bien mince secours ! Revenez : nous ferons beaucoup de musique. Cette semaine j'en ai entendu énormément. Trois symphonies de Beethoven entre autres. Cela c'est déconcertant tant çà reste puissant et gigantesque ! La musique qui contient véritablement de la musique devient de plus en plus rare et je suis plus résolu que jamais à tâcher d'en mettre dans tout ce que j'écrirai. Mes contemporains sont trop enclins à se contenter de l'effet orchestral !

Adieu, chère Princesse, et à bientôt n'est-ce-pas ?

Votre tout dévoué et profondément affectionné Gabriel Fauré.

Les Roger Jourdain reviennent à Paris dans deux ou trois jours.

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