Lettre de Gabriel Fauré à la Princesse de Polignac n°23

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Paris, Dimanche (21 juin 1891? non daté)

Chère Princesse

Je suis désolé qu’une dépêche de vous ait été perdue à l’hôtel de France ! Nos amis n’ont pas permis que nous nous y arrêtions, le lieu leur paraissant insuffisant pour votre suite ! C’est donc à l’hôtel Isotta que nous sommes descendus. Du reste, toute cette fin de voyage à eu l’incohérence que je prévoyais. Votre commandement faisant défaut l’anarchie a régné sans frein et notre court séjour à Gênes s’est passé à perdre notre temps. La ville nous a fort déplu : belle de loin, nous l’avons trouvée en réalité, triste, laide, sale, avec une insuportable odeur de poisson malade ! Il est vrai que nous étions si prédisposés à trouver tout odieux depuis la séparation de Florence !

Quelques heures du soir, passées au bord de la mer, avec l’admirable lune, m’ont plus attristé que réjoui : le même spectacle peut paraître joyeux ou profondément mélancolique suivant les circonstances, comme le pourrait dire Mr de La Palisse, mais tout ce que disait Mr de La Palisse n’était pas si bête, étant l’éternelle vérité ! Croyez-vous que dans les inoubliables inpressions qui me tiennent toujours à Venise et à Florence, Venise et Florence soient même pour la moitié ??

La journée d’hier depuis l’arrivée à Paris s’est passée à reprendre contact ! Cependant, dans l’après-midi, la fatigue a été la plus forte, j’ai dormi et je n’ai pas pu vous écrire assez tôt ! Naturellement des ennuis me guettaient ici : cela n’est pas long de passer de la lumière radieuse aux teintes grises ! Et puis le temps nous donne le même spectacle : noir et froid après l’étincelante Italie !

Votre dépêche et votre lettre m’ont délicieusement ému ! alors vous avez pensé que je pensais, sans y manquer une minute, à tant d’heures si délicieuses, si in-retrouvables, c’est à-dire à vous, à vous, à vous ? Et votre amitié si indulgente à voulu m’apporter un lointain secours ! Je vous en suis mille fois reconnaissant et je ne puis vous dire combien j’en suis touché !

J’ai vu Mme Baugnies quelques instants à peine : elle est, notre pauvre amie, plongée dans les soucis d’affaires les plus désagréables, ventes de maisons, de propriétés ! Elle désire bien vivement vous voir. Plus que moi-même ? Vous ne le croiriez pas j’espère ! Comme je voudrais encore revivre les quelques minutes qui ont précédé votre départ ! Si vous vous souvenez de ce que je vous disais à la portière de votre wagon, pensez que c’est l’expression très affaiblie par le langage humain de toutes mes pensées !! Ecrivez-moi ! Revenez ! mais revenez vite ! et dites tous mes souvenirs à tous les coins du Palazzo ! Votre mille fois dévoué Gabriel Fauré.

Tous mes souvenirs les plus amicaux à Mistress Gilbert.

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