Lettre de Erik Satie à la Princesse de Polignac n°15
Arcueil. Cachan, le 10 oct. 1918
Chère & Bonne Princesse ---- Je viens vous demander un grand service. Lors de ma condamnation, vous m'avez remis très amicalement une somme de onze cents francs. Sur cette somme, j'ai payé 211F, 26. Il reste donc 888F, 74.
C'est ici que je m'adresse à vous - -
A la suite des malheurs & des originalités de la présente guerre, je me trouve dépourvu de sous, ducats & autres objets de ce genre. Le manque de ces bibelots fait que je ne suis pas très à mon aise. Oui, - -- & La Nécessité* (*un bien drôle d'animal) me fait, Chère Madame, me tourner vers vous, & m'incite à vous prier de m'autoriser à me servir des 888F, 74 dont il est question plus haut.
Vous savez, Princesse, que je n'ai nullement l'intention de donner un sou au noble critique cause de mes maux judiciaires. Cent francs me suffiront pour le mener en référé & pour parer ses mauvais coups, & lui tenir tête, s'il m'attaque.
Puis-je disposer de ce reliquat ?
Comme avance ?
------ Comment allez-vous ? j'ai eu de vos nouvelles par Madame Cocteau. Picasso m'a dit vous avoir vue. Quand aurai-je ce plaisir ?
Je ne compte pas vous envoyer "Socrate" avant de vous l'avoir soumis (lire : de vous l'avoir soumis à l'audition). Je remets l'orchestre au net. L'ouvrage reste ainsi que nous en avions parlé tous deux, Chère & Bonne Princesse.
Nous aurons un joli spectacle avec le Renard, car l'oeuvre de Stravinsky est bien, très bien. Revenez vite, Madame ; portez-vous bien; & croyez-moi votre respectueux et dévoué,
Erik Satie.
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