Lettre de Anna de Noailles à la Princesse de Polignac n°105

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Brimborion Cambo. (Sans date ? septembre ?années de guerre)

Ma bien chère Winn,

Pas un mot de vous, me rassurant sur vous, ma lettre de Bayonne, mon télégramme d'Angoulême ne vous seraient-ils pas parvenus ? L'un fut expédié le 3 septembre, l'autre un peu après. Je vous racontais le départ qui me fut imposé avec ma mère et mon fils, car mon voeu formel était de ne jamais quitter Paris qui est mon cher clocher, et de partager son sort quel qu'il fût - et comment j'ai dû avoir recours à votre auto, les ministres ne pouvant plus rien mettre à ma disposition, et le temps pressant, disaient-ils.

Donc je fis cet acte d'audace et d'amitié de nous faire conduire par votre voiture réquisitionnée. C'est en effet bien aimer que d'être certain de ne point contrarier en un tel cas d'urgence. C'est ce que mon télégramme et ma lettre vous disaient, mais n'ayant jamais eu de vos nouvelles depuis, je me demande si vous les avez reçus.

Ma correspondance de tous côtés s'est perdue d'une façon effroyable qui m'isole de tous mes amis et augmente la tristesse de ces longs mois d'épreuve. Après avoir été chassés des hôtels de ville en ville, par l'armée des illis militaires au service desquels Dieu merci on met toutes les places disponibles, nous sommes venus camper ici, dans une cabane vide et exigüe, perdue au fond d'un vallon. Je suis là avec maman, mon fils, les Ginet, Hélène étant à Royan avec Mme Bulteau, Anne-Jules, Marc.

Je ne l'ai pas vue depuis Poitiers et Angoulême, où, par hasard, je les rencontrais brièvement de passage dans une auberge.

Que serais-je devenue sans le brave Rostand que je rencontre chaque jour à l'ambulance militaire des environs, où les blessés donnent un sublime spectacle de vaillance incomparable de gaîté, de spontané et noble esprit. De quoi se plaindrait-on soi-même et qu'oserait-on regretter quand de tels êtres en masse, simplement sacrifient tout. Je voudrais de vos nouvelles, ma chère Winn. Je pense constamment à vous, vous le savez bien. Je vous embrasse. Anna.

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