Roger Heim

Publié dans Membres historiques du conseil

Roger Heim ( † 1979)

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1958 à 1976

Membre du conseil d'administration 1956 - 1979

alt"Le professeur Roger Heim nous a quittés le 17 septembre 1979. C’est avec beaucoup d’émotion que nous évoquons aujourd’hui sa haute figure de savant, d’érudit, d’administrateur. Roger Heim est né à Paris le 12 février 1900. Après des études secondaires au collège Chaptal, il se destinait à une carrière d’ingénieur. Il entra à l’École centrale des arts et manufactures en 1920, et fut reçu ingénieur en 1923. C’est à ce moment qu’une vocation irrésistible vint changer sa destinée. Il se tourna vers les sciences de la nature. Dès 1924, il était licencié ès sciences. En 1925, il devint l’assistant du professeur Louis Mangin au Muséum d’histoire naturelle où il prépara sa thèse de doctorat ès sciences, qu’il passa en 1931. Il est nommé sous-directeur du laboratoire de cryptogamie du Muséum en 1932, directeur de laboratoire à l’École des hautes études en 1940. Pendant la guerre de 1940-1945, Roger Heim s’engagea un des premiers dans la résistance active. Il fut arrêté en 1943 et déporté à Buchenwald puis à Mauthausen (Gusen) par les Allemands. Il connut pendant deux ans l’immense souffrance, la détresse insondable des déportés des camps de la mort.

Il publia des souvenirs de ce monde inhumain, insoutenable, où se commettaient quotidiennement des crimes inexpiables, perpétrés par des êtres revenus à l’état de bêtes sauvages. Dans la Sombre Route il insistait sur la responsabilité d’un peuple fanatisé ou terrorisé, qui n’eut pas un seul sursaut, un seul mouvement de pitié, d’humanité. Sans doute ces impressions d’une sensibilité à vif paraissent-elles dures aujourd’hui à l’égard d’un peuple qui a laissé commettre de telles abominations. Roger Heim ne faisait qu’exprimer la réprobation et l’horreur du monde civilisé, il mettait en garde nos contemporains, les survivants, les descendants du génocide, contre le retour de telles exactions. Roger Heim fut une victime, en même temps qu’un témoin des atrocités nazies. Il nous crie encore: « Pardonnez, si vous le pouvez, mais n’oubliez pas. »

Sauvé presque miraculeusement des camps de la mort grâce à sa résistance physique et morale, le professeur Roger Heim reprend, après la guerre, son activité scientifique. Elle sera de haute tenue ; des découvertes retentissantes ne tarderont pas à couronner son effort. Elles ont trait, pour la plupart, à la mycologie (anatomie, biologie, reproduction, classification et phylogénie des champignons, maladies des plantes). Sa connaissance approfondie de ces sujets l’oriente dans une direction qu’il n’abandonnera plus et où il ira de découverte en découverte: ce sont les champignons hallucinogènes. Il a étudié leurs caractères anatomiques, systématiques (ce sont principalement des agaricinées), leur structure chimique, leurs propriétés physiologiques. Il a étudié sur lui-même, avec la plus grande pénétration et un véritable courage, les effets psychiques et physiques de ces champignons. Il a montré ce qu’on pouvait en attendre en bien comme en mal, c’est-à-dire les effets nuisibles sur le système nerveux et le psychisme, mais aussi les effets bienfaisants (hypnotiques, antalgiques) qu’ils peuvent entraîner, s’ils sont administrés avec modération et précision.

Le professeur Heim, l’un des premiers, a donné l’alerte à la pollution, à l’épuisement du monde vivant, au massacre des animaux en voie de disparition, des animaux en général, à l’exploitation abusive des végétaux actuels ou fossiles. Il a publié sur ces sujets des livres de prémonition, qui étaient alors en avance sur leur temps, que l’actualité a largement rejoints et dépassés. La protection de la nature, l’environnement ont été son souci constant; il l’a exprimé dans de nombreux écrits, tels l’Angoisse de l’an 2000, dans de nombreux discours, rapports ou conférences et dans un film intitulé Nature morte. Ces œuvres, qui paraissaient pessimistes et quelque peu excessives au moment où elles ont paru, se sont révélées - malheureusement - l’exact reflet de la réalité actuelle. Un autre film, ayant pour sujet les champignons hallucinogènes, a été tourné par lui.

Notre président honoraire n’était pas seulement un homme de cabinet, il était l’homme des récoltes sur le terrain, et l’homme des grands voyages (Pacifique Sud, Indochine, Inde, Madagascar, Afrique noire). Il exerça de hautes fonctions et reçut de nombreux honneurs: directeur du Muséum d’histoire naturelle de 1951 à 1965, il fut membre de l’Académie des sciences depuis 1946, de l’Académie d’agriculture, de l’Académie des sciences coloniales et de l’Académie des sciences d’outre-mer; il fut président de ces Académies. Il était grand officier de la Légion d’honneur, titulaire de la croix de guerre (1939-1945), de la médaille de la Résistance, de la médaille des Déportés, et de nombreuses autres décorations et dignités françaises et étrangères.

Il défendait, en toutes circonstances, le maintien du français dans le langage scientifique; il faisait campagne pour la sauvegarde de notre langue; il prêchait l’exemple dans ses écrits et ses discours*. Ses allocutions aux soirées de la fondation Singer-Polignac étaient des modèles de style et de goût artistique. Le professeur Roger Heim a été président de notre Fondation après la mort d’Edmond Faral, de 1958 à 1976. C’est pendant cette période qu’il fit édifier et inaugura, à Tahiti, le musée Gauguin qui s’élève au milieu d’une éclatante végétation tropicale, cadre bien digne de célébrer la mémoire du grand peintre français, et qui attire chaque année des dizaines de milliers de visiteurs."

Étienne Wolff (†), de l’Académie française

*Voir à ce sujet « La langue française et la science » dans la plaquette Cinq Propos sur la langue française, consacrée à des conférences prononcées par cinq auteurs différents, sous les auspices de la fondation Singer-Polignac.