Dévotion - Bach à voix basse

Publié dans Saison 2018-2019

Salle Cortot - 78 rue Cardinet - 75017 Paris

Avant-propos

Notre concert de fin d’année, donné traditionnellement « hors les murs » de la Fondation Singer Polignac, vous est proposé ce soir salle Cortot, un des hauts lieux de la musique à Paris. Ce bâtiment fut en effet construit en 1929 par Auguste Perret, déjà architecte du théâtre des Champs-Élysées et grand maître du béton armé – qui constitue ici la structure recouverte de bronze doré et de bois d’okoumé. Il s’agissait, à l’origine, de créer un auditorium pour l’Ecole Normale de Musique, installée juste à côté et dirigée par Alfred Cortot. Mais cette salle est devenue rapidement un lieu privilégié des musiciens, idéale par sa taille moyenne : permettant aussi bien d’accueillir de petits orchestres que de grands solistes ou de la musique de chambre. C’est ainsi que Wanda Landowska, Palbo Casals, Dinu Lipatti, Samson François se sont produits entre ces murs, où sera également créée, parmi beaucoup d’autres, la Symphonie pour un homme seul de Pierre Schaeffer en 1950. Et c’est aussi, je pense, un lieu idéal, pour la formation que nous allons entendre ce soir dans un florilège de cantates de Bach – œuvres qui, je le rappelle, furent crées pour une grande part par les élèves musiciens de Bach à Saint-Thomas de Leipzig, de même que cette salle Cortot constitue, aujourd’hui encore, un prolongement des activités de l’École Normale de Musique.

Faut-il souligner d’abord ce qui apparaît aujourd’hui presque comme une évidence : à savoir que les cantates de Bach constituent probablement le plus extraordinaire monument musical bâti par un seul homme, davantage que les symphonies de Beethoven ou les opéras de Mozart ? En effet, l’ampleur, la diversité, la puissance musicale, poétique, mystique de ces 200 cantates – et sans doute en composa-t-il 300, dont une partie est perdue – ne sauraient se comparer à rien d’autre dans l’histoire ; surtout si l’on se songe que la plupart furent composées rapidement, pour l’office, d’un dimanche à l’autre. Mais en réalité ce monument fabuleux est resté longtemps méconnu. Au milieu du XIXe siècle, quand Mendelssohn et quelques autres furent les artisans de la redécouvert de Bach, on ne connaissait guère qu’une poignée de cantates dont la redécouverte s’est étalée jusqu’au milieu du XXe siècle et au premier enregistrement intégral entrepris à partir de 1971 sous la direction de Gustav Leonhardt et Nikolaus Harnoncourt.

La cantate, comme son nom l’indique, est un genre musical chanté, par opposition à la sonate, genre instrumental – mais l’une et l’autre, comme la plupart des grandes formes de notre tradition musicale, ont vu le jour en Italie au XVIIe siècle, en un temps où la péninsule servait de modèle musical toute l’Europe. C’est ainsi que la cantate, comme la sonate, l’opéra, le concerto, allait essaimer vers l’Allemagne où elle devait connaître une destinée particulière au sein de la liturgie luthérienne. Précisons que la cantate peut-être un genre religieux mais aussi profane – ce qu’on retrouve également chez Bach avec sa fameuse cantate du café ; mais, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit surtout d’un bref récit en musique, composée de plusieurs mouvements, un peu comme un acte d’opéra dans lequel alternent récitatifs, airs, chœurs, duos… L’office religieux luthérien qui accorde un rôle essentiel à la musique, va donc s’en emparer et lui donner une place d’honneur, le plus souvent après la lecture des évangiles et le sermon, comme une forme de méditation musicale sur le sujet du dimanche.

Le terme de « cantate » qu’on utilise aujourd’hui pour qualifier l’ensemble de ces œuvres ne semble toutefois avoir été utilisé par Bach que pour une dizaine de compositions. Pour le reste, il parlait plus simplement de Kirchenmusik, autrement dit musique d’église, mais il a également employé parfois le nom de concerto. C’est seulement au temps de la redécouverte de ces œuvres que le mot de cantate, qui caractérise peu ou prou à leur forme, est devenu un terme générique employé par les musicologues pour qualifier l’ensemble de ces deux-cents chefs d’œuvres, rassemblés dans le fameux catalogue BWV, selon un classement complexe qui ne tient compte de la chronologie, ni des sujets – c’est pourquoi je ne saurais que recommander à ceux qui souhaitent en savoir plus de lire l’admirable et très exhaustif ouvrage sur le sujet de Gilles Cantagrel : Les Cantates de Jean-Sébastien Bach.

Un autre point mérite d’être souligné : comme je le disais, ces œuvres furent créées pour la plupart à Saint-Thomas de Leipzig, où Jean-Sébastien Bach, lequel devait fournir chaque dimanche une cantate pour l’office. Il aurait toutefois été presque impossible, durant les 27 années où il accomplit cette fonction, de 1723 à sa mort, de composer un tel chef d’œuvre chaque semaine en plus de ses autres activités – encore que certains compositeurs de l’époque produisaient de la cantate en série, si l’on songe aux 1300 cantates de Telemann, ou encore au 2000 cantates de Johann Krieger, loin devant les 300 cantates de Bach. Après s’être astreint, notamment les premières années, à écrire une nouvelle cantate chaque semaine, celui-ci a donc également repris des pièces conçues pour le même dimanche quelques années plus tôt, ou fait entendre les œuvres de ses contemporains, comme ceux que je viens de citer. Quant aux textes, d’inspiration biblique, ils sont parfois réécrits par des auteurs allemands, voire par Bach lui-même pour certaines pages et ils abordent toute la gamme des sentiments humains, la joie, la douleur, la tristesse, la confiance, la peur, d’où l’aspect foisonnant de ce répertoire qui se veut, in fine, un acte de confiance du cœur humain devant l’éternel. Ce message que Bach parvient à nous transmettre, avec la force bienfaisante qui caractérise sa musique, qui s’exprime en particulier dans les chorals qui, souvent, concluent ces cantates – mais que nous n’entendrons pas ce soir dans un programme composé d’extraits pour voix solistes.

Je terminerai en rappelant que ces œuvres étaient initialement chantées par un ensemble de voix entièrement masculins, accompagnés par un petit orchestre à l’image de celui qu’on va entendre. Les voix aiguës étaient donc interprétées par les enfants, les voix graves par les jeunes hommes – et l’on ne peut, là encore, que rester plein d’admiration pour la virtuosité de ces musiciens qui montaient en quelques jours des partitions souvent extrêmement difficiles. Aujourd’hui, toutefois, on peut reprendre ces œuvres avec des formations vocales variées : les parties aiguës pouvant être interprétées par des enfants, des femmes ou encore des hautes contres – Bach ayant lui-même clairement signifié le goût qu’il avait pour les voix de femmes, mêmes si celles ci ne pouvaient alors chanter à l’église.

Pour le programme de ce soir, c’est donc Nathalie Stutzmann elle même qui, tout en dirigeant Orfeo 55, interprétera les parties d’alto – avec à ses côtés Léon Kosavic, un jeune baryton-basse croate qu’elle a découvert et auquel elle aime désormais s’associer. Ainsi, les deux voix les plus graves, masculine et féminine, alterneront dans cette succession d’airs extraits de différentes cantates : un choix d’une profonde force symbolique puisque, dans ces pages, la voix de basse fait écho à la parole du Christ, profonde et dramatique, tandis que la voix d’alto symbolise plutôt l’esprit saint et, pour reprendre les mots de Nathalie Stutzmann « exprime l’affliction du croyant dans l’espérance du salut à l’issue de son pèlerinage terrestre ».

Benoît Duteurtre

Programme

Johann Sebastian Bach (1685-1750)

  • Am Abend aber desselbigen Sabbats, BWV 42
    • Sinfonia
  • Vergnügte Ruh, beliebte Seelenlust, BWV 170
    • Aria (alto) : « Vergnügte Ruh »
  • Ich freue mich in dir, BWV 133
    • Aria (alto) : « Getrost! es faßt ein heil'ger Leib »
  • Ich will den Kreuzstab gerne tragen, BWV 56
    • Aria (bass): « Ich will den Kreuzstab gerne tragen »
  • Am Abend aber desselbigen Sabbats, BWV 42
    • Aria (Bass): « Jesus ist ein Schild der Seinen »(A major)
  • Geist und Seele wird verwirret, BWV 35
    • Aria (alto): « Gott hat alles wohlgemacht ! » (F major)
  • Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit, BWV 106
    • Aria (alto & bass duo): « In deine Hände befehl ich meinen Geist » (B minor)
  • Ich habe genug, BWV 82
    • Aria (alto): « Ich habe genug » (C minor)
Interprètes
  • Leon Košavić baryton
  • Nathalie Stutzmann contralto et direction
  • Orfeo 55
    • Anne Camillo, Nicola Cleary, Ching Yun Tu, Emmanuelle Dauvin violon I
    • Thelma Handy, Laura Corolla, Naoko Aoki violon II
    • Jean-Philippe Gandit, François Martigné alto
    • Alice Coquart, Jean-Lou Loger violoncelle
    • Severiano Paoli contrebasse
    • Yanina Yacubsohn, Isabelle Gratius hautbois
    • Alexandre Salles basson
    • Jonas Nordberg théorbe
    • Chloé Sévère clavecin et orgue
© FSP JFT

Biographies

Leon Kosavic baryton

Leon Kosavic est né en 1991 et débute la pratique du chant à l'âge de 12 ans. Il est diplômé de l'Académie de musique de Zagreb dans la classe de Giorgio Surian. Il est en résidence à la Chapelle musicale Reine Elisabeth où il suit les cours de José van Dam.

En 2011, il remporte le premier prix du concours national croate pour les étudiants et fait ses débuts dans Carmen dans le rôle de Moralés. La même année, sa carrière professionnelle connaît un tournant en intégrant le théâtre national de Croatie où il interprète Papageno (La Flûte enchantée) et plus récemment le rôle titre de Don Giovanni.

En 2014, Leon Kosavic fait ses débuts au Concert Hall Vatroslav Lisinski à Zagreb dans le rôle d'Orfeo (Orfeo et Euridice). La même année, il chante avec The Sinfonia Finlandia Jyväskylä dans La Passion de Bach (Pilate). Par la suite, il donne un concert de gala au Dubrovnik Summer Festival aux côtés de l'orchestre philharmonique slovène sous la baguette d'Uros Lajovic.

En 2015, Leon apparaît dans Don Pasquale en tant que Docteur Malatesta à l'opéra national de Finlande à Helsinki. Fin 2015, il est récompensé pour son interprétation de Don Giovanni lors de la cérémonie des Croatian Theatre Arts’ Awards dans la catégorie de la meilleure performance pour un artiste de moins de 30 ans.

Plus récemment, Leon a chanté avec le Croatian Radiotelevision Symphony Orchestra ainsi qu'avec le Bergen Philharmonic Orchestra dans la Messe en ut mineur de Mozart, dirigée par Nathalie Stutzmann. Il s'est aussi produit à Liverpool avec le Royal Liverpool Philharmonic Orchestra où il a interprété La Passion selon Saint Mathieu de Bach, également dirigée par Nathalie Stutzmann. En 2017, il recontre un vif succès dans le rôle de Figaro dans Le Barbier de Séville de Rossini à Helsinki et à l'opéra de Wallonie à Liège, puis dans le rôle titre de Don Giovanni à Stuttgart. Il se produit ensuite à Zagreb, Rotterdam, Lausanne et Londres.

Leon a déjà remporté de nombreux prix prestigieux pour son jeune âge, citons le 3e prix au concours international de chant Mirjam Helin (Helsinki), le premier prix au concours Emmerich Smola (Pays-Bas) et le 3e prix du concours Stanislaw Moniuszko (Pologne). Il se qualifie en 2015 pour la finale du prestigieux concours international Reine Sonja en Norvège.

On le retrouvera prochainement dans le rôle de Ruggiero dans La Juive d'Halévy à Antwerpen (Belgique).


copyright Simon Fowler

Nathalie Stutzmann contralto et direction

 

Chef Principal du Kristiansand Symfoniorkester en Norvège

Chef Principal Invité du RTÉ National Symphony Orchestra of Ireland de Dublin

Artiste Associé Principal de l’Orquestra Sinfônica do Estado de São Paulo

Fondatrice et Directrice Musicale d’Orfeo 55

Nathalie is the real thing. So much love, intensity and sheer technique. We need more conductors like her.
Sir Simon Rattle, décembre 2012

Nathalie Stutzmann compte parmi les personnalités musicales les plus marquantes de notre époque. Contralto mythique, elle est aujourd’hui célébrée comme l’une des grandes révélations de la direction d’orchestre. « Une chef qui a tout pour elle » (Le Figaro), à la « direction fougueuse et précise, sensible et contrastée » (Le Monde), avec « un souffle épique, une architecture, une maestria exceptionnelle » (Opéra Magazine).

Chef symphonique, la saison 2018/2019 marque ses débuts en tant que Directrice musicale du Kristiansand Symfoniorkester en Norvège. Elle retrouvera prochainement le Philadelphia Orchestra, le Rotterdams Philharmonisch Orkest, le Royal Liverpool Philharmonic, le Göteborgs Symfoniker ou encore le National Symphony Orchestra Washington. Elle fera également des débuts attendus avec le London Symphony Orchestra et le Seattle Symphony orchestra.

Chef lyrique, après ses succès unanimes dans le Tannhäuser de Wagner à l’opéra de Monte-Carlo puis le Mefistofele de Boito aux Chorégies d'Orange en 2018, elle dirigera la saison prochaine les opéras La Dame de pique de Tchaikovsky et Iphigenie en Tauride de Gluck.

Proclamée « meilleure contralto du monde » (BR Klassik), Nathalie Stutzmann chante depuis ses débuts avec les plus grandes formations internationales et les plus grands chefs d’orchestres. Grande récitaliste, spécialiste du lied allemand et de la mélodie française, elle a donné plus de 300 récitals avec la pianiste suédoise Inger Södergren.

Elle concentre désormais son répertoire vocal aux récitals vocaux avec piano, et aux récitals avec son ensemble Orfeo 55, en résidence à l’opéra orchestre national de Montpellier. Depuis sa création, elle continue à explorer Vivaldi et Bach (Vivaldi Prima Donna album, Bach Une Cantate imaginaire, Deutsche Grammophon), Händel (Heroes from the shadows, Warner Classics) et les grands compositeurs baroques italiens (Quella Fiamma, paru chez Warner Classics en 2017) couronnée par de nombreuses récompenses.

On pourra la retrouver avec Orfeo 55 en concert cette saison à la Philharmonie de Paris, à l’opéra de Montpellier, à l’Arsenal de Metz, à l’Elbphilharmonie de Hambourg ou encore au Schleswig-Holstein Musik Festival de Meldorf.

Nathalie Stutzmann a une formation de pianiste et bassoniste. Pour le chant, elle a reçu l’enseignement de sa mère, Christiane Stutzmann, avant d’étudier à l’école d’art lyrique de l’Opéra de Paris auprès de Michel Sénéchal et de Hans Hotter. Elle a été formée à la direction d’orchestre par Jorma Panula et a pour mentors Sir Simon Rattle et Seiji Ozawa. Elle est Officier des Arts et des Lettres et Chevalier de l’Ordre National du Mérite, Officier du Mérite Culturel de Monte-Carlo.

Nathalie Stutzmann est artiste associé en résidence à la Fondation Singer-Polignac avec son ensemble Orfeo 55.


Orfeo 55

 Dès sa création en 2009, Orfeo 55, une formation unique au répertoire original et éclectique, s’est produit dans le monde entier sous la direction énergique et inspirée de sa chef et chanteuse Nathalie Stutzmann.

A la tête d’Orfeo 55, Nathalie Stutzmann interprète les plus belles pages de musique baroque de compositeurs tels que Vivaldi, Bach et Händel sur instruments d’époque et explore, sur instruments modernes, les chefs d’œuvre pour orchestre de chambre de Richard Strauss et Arnold Schoenberg. Très vite, la critique remarque : « le son rond puissant et souple à la fois, la rythmique organique et les phrasés enivrants »

La voix, que ce soit celle du contralto de Nathalie Stutzmann ou celle de ses invité(e)s, est au cœur du projet artistique et chaque programme en est le reflet : Prima Donna (Vivaldi), Une Cantate Imaginaire (Bach) (Deutsche Grammophon), Heroes from the Shadows (Händel - Diapason d’Or, Melὀmano de Oro, Editor’s Choice de Gramophone), Quella Fiamma, un recueil d’Arie Antiche, restitués dans leur orchestration originale pour ERATO/Warner Classics et bientôt un très attendu Contraltos, mettant en valeur la relation privilégiée du compositeur et de son interprète dans l’Italie du XVIIème siècle.

Orfeo 55 a été invité par les plus grands festivals en Europe comme Salzbourg, Verbier, Hallé, Lausanne (Bach) et les salles prestigieuses telles que Concertgebouw d’Amsterdam, Victoria Hall de Genève, Wigmore Hall de Londres, Palau de la Musica de Valencia, etc… et s’est produit en France, à Paris – Théâtre des Champs-Elysées, La Seine Musicale et Cité de la Musique -, Lyon, Toulouse, Bordeaux, Strasbourg, Monte-Carlo, Metz, lieu de leur première résidence et Montpellier dont la résidence de trois ans culminera avec une production de Sersé de Haendel en mars 2020. Orfeo 55 a récemment effectué sa première tournée en Asie (Japon, Hong Kong, Chine) et prépare une année 2019 riche en nouveaux programmes :

Bach A voix basses avec le baryton basse Leon Kosavic, qui sera, entre autres, donné à la Elbphilharmonie à Hambourg et au festival de Sablé, Contraltos dont le CD paraîtra à l’automne et CastratDivas avec le contreténor espagnol Xavier Sabata.

De grands solistes répondent régulièrement à l’invitation de Nathalie Stutzmann, lui témoignant une confiance artistique indéfectible, parmi lesquels Magdalena Kožená, Philippe Jaroussky, Renaud Capuçon, Sonya Yonchev, Camilla Tilling et Siobhan Stagg.

Orfeo 55 est soutenu par le Ministère de la Culture et de la Communication depuis 2016. Il reçoit également le soutien de l’opéra de Monte Carlo et de l’Association Eurydice 55. Nathalie Stutzmann est Artiste-Associé de la Fondation Singer-Polignac.