Chefs-d'oeuvre du style classique

Publié dans Saison 2008-2009

Notre programme, ce soir, présente un contraste frappant, puisque nous entendrons, d'un côté, deux compositeurs bien installés au panthéon des "génies" de la musique - Haydn et Mozart - et, de l'autre côté, un de leurs contemporains presque totalement inconnu : Giuseppe Maria Cambini.

Le fait est que, par la force des choses, notre culture  s'articule autour de quelques grands noms, les plus marquants de chaque époque, et ceux qui ont apporté la plus belle invention personnelle à l'art musical. Mais cette façon de voir a aussi l'inconvénient de laisser supposer que le reste ne présenterait pas grand intérêt. Un peu comme si, dans la peinture, notre attention se portait exclusivement vers les artistes les plus célèbres, sans laisser aucune place aux "petits maîtres", qui nous apportent pourtant beaucoup de plaisir dans un recoin du Louvre, dans un musée de Province, ou quand on les accroche dans son salon. De ce point de vue, j'oserais même ajouter que l'oeuvre majeure d'un compositeur méconnu vaut souvent mieux qu'une oeuvre mineure de Haydn ou Mozart qu'on s'évertuera pourtant à jouer et à enregistrer, avec notre goût porté sur les fonds de tiroirs.

L'autre inconvénient de cette histoire sélective est d'entraîner certaines confusions : ainsi, lorsqu'on entend tel compositeur d'opéra ou de musique de chambre de la fin du XVIIIe siècle ; on aura l'impression qu'il écrit "dans le style" de Mozart. La vérité est qu'ils sont plutôt, Mozart et lui, dans le style de leur époque. Et même si Mozart en tire un parti évidemment plus sublime, il faut parfois apprendre à connaître mieux le "petit maître" pour découvrir des beautés qu'on ne soupçonnait pas.

Cambini

Pour en venir plus précisément au genre du quatuor à cordes, à l'honneur aujourd'hui, nous avons l'habitude d'y voir le domaine d'élection des grands classiques viennois ; voire une invention pure et simple du grand Joseph Haydn. Ce qui n'est ni tout à fait faux, ni tout à fait exact, puisque Haydn et Boccherini ont développé simultanément ce répertoire dans les années 1760, et que celui-ci s'est rapidement développé dans toute l'Europe. Il est en effet intéressant de rappeler qu'à Paris, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle furent publiés pas moins de 1000 quatuors à cordes, et que ce genre jouissait d'un grande vogue à travers l'Europe, notamment dans les salons de la bourgeoisie cultivée.

Pour s'en tenir à la France de la fin du XIXe siècle, on peut citer en particulier les noms de Hyacinte Jadin, Pierre Vachon, le Chevalier de Saint-Georges, et Giuseppe Maria Cambini - un compositeur originaire d'Italie qui reste, à l'époque, le principal fournisseur de musique de toute l'Europe. Cambini choisit donc de s'installer en France, où il compose énormément de musique instrumentale, alors très en vogue dans les concerts. Mozart, qui apprécie sa musique, prendra même le temps de  venu le rencontrer à Paris.

Parmi ses oeuvres, il faut citer en particulier 82 symphonies concertantes (genre français), mais surtout 150 quatuors à cordes, fréquemment cités à l'époque, à côté de ceux de Mozart et Haydn parmi les oeuvres maîtresses du genre.

Cambini, dans ses quatuors, illustre un style très différent du classicisme viennois, et très prisé en France, le "quatuor concertant et dialogué". Comme son nom l'indique, les instruments jouent en solistes l'un après l'autre, un peu comme dans un concerto. Dans ce deuxième quatuor du 18e livre, édité en 1783, par exemple, l'alto est magnifiquement mis en valeur à la fin du premier mouvement. C'est une conception encore très opératique de la musique - au moment où Haydn invente le quatuor moderne, dans lequel le jeu des thèmes et du développement devient plus important que la joute instrumentale.

Style classique

On le voit ainsi, le style classique, au moment de sa naissance, prend des formes très diverses à travers l'Europe.

Ce mot classique est d'ailleurs un peu trompeur pour l'esprit français, puisque nous l'associons plus spontanément à l'architecture ample et harmonieuse de Versailles – conçue dans une époque où la musique était plutôt furieusement baroque et foisonnante. C'est seulement un siècle plus tard que la musique, à son tour, semble adopter le parti-pris d'un classicisme, fondé sur la clarté, l'ampleur, l'équilibre. Et peut-être l'influence du grand siècle français n'y est elle pas étrangère.
Mais c'est évidemment en Autriche, entre Vienne et Estheraza que le classicisme musical trouve sa forme supérieur dans les oeuvres de Haydn, Mozart et Beethoven - et tout particulièrement dans le genre du quatuor à cordes.

Haydn

J'oserais dire, au passage, qu'il y a quelque chose d'un peu excessif et de presque religieux dans le culte du quatuor, comme quintessence de la musique, supérieur à tous les autres genres, parce que sa sonorité dépouillé se prêterait au jeu du pur contrepoint. Pour ma part, j'aime tout autant dans le répertoire classique, l'alliance merveilleuse du piano et des cordes dont Joseph Haydn nous donne un exemple éblouissant d'invention dans sa série de 45 trios avec piano.

Mais il est vrai que le trio, chez Haydn, est peut-être moins moderne que le quatuor, dans la mesure où il reste fidèle, lui aussi au modèle concertant, privilégiant les solos de violon et de piano. Pendant longtemps, ses trios porteront même l'appelation de « sonates pour pianoforte avec accompagnement de violon et de violoncelle ».

Ce trio n°43, composé dans vers 1795, est l'un des sommets de la série. On y retrouve Haydn débordant d'invention, au sommet de son art. L'écriture de pianoforte est particulièrement  brillante dans ces trois mouvements, faisant dire à Mendelssohn, lorsqu'il présenta cette oeuvre cinquante ans plus tard : « Les gens n'en revenaient pas d'étonnement qu'une chose aussi belle puisse exister ».

Voilà en tout cas une composition propre à nous faire oublier les habituels lieux communs sur Haydn dont la musique, selon Balakirev, sentait « le tabac à priser ». Façon de souligner son côté bourgeois tranquille – même si les anglais le qualifiaient plutôt de « Shakespeare de la musique ». Mais si une imagerie bon enfant s'est attachée à Haydn, c'est peut-être aussi parce qu'il y a en effet quelque chose de tellement simple et naturel, dans sa façon de jouer avec la musique.

Mozart

Mozart, le troisième compositeur du programme, est illustré ce soir par deux chefs d'oeuvres emblématiques de son art. Il faut en effet rappeler que le quatuor à cordes et le concerto avec piano sont probablement, les deux genres instrumentaux dans lesquels sont art s'est déployé le plus constamment, et avec la plus grande richesse. 

Le célèbre quatuor « les dissonances » a été écrit en quatre jours,  en 1785. C'est le 19e des 23 quatuors, et le dernier de la série des six quatuors dédiés à Joseph Haydn – autant pour marquer l'amitié des deux musiciens, que l'influence déterminante de l'aîné dans l'art quatuor à cordes. Le sous-titre se rapporte surtout à l'introduction du premier mouvement, au caractère presque préromantique ; mais l'oeuvre tout entière est pleine de liberté et d'invention.

Le 12e concerto, en fa majeur, date de 1782. Comme d'autres concertos de cette époque, c'est un chef d'oeuvre de grâce naturelle. La vivacité joyeuse du premier mouvement rend plus heureux. Le sobre et déchirant second mouvement est un hommage à Jean-Chrétien Bach qui venait de mourir, et inspiré par un thème de celui-ci.

Vous l'entendrez dans une version intimiste, avec un vrai pianoforte et un simple quatuor à cordes au lieu de l'orchestre habituel. Il faut noter que Mozart lui-même avait prévu, dans l'édition originale, cette version réduite qui transforme le concerto en quintette avec piano. Cette approche de musique de chambre a l'avantage de souligner la couleur intimiste et raffinée du piano-forte. En tout cas, elle est aussi légitime que celle du grand orchestre et du piano Steinway.

La force de Mozart est d'ailleurs de se prêter, comme Bach, à des lectures tellement diverses ; et les jeunes mais déjà grands interprètes que nous allons entendre ce soir, font partie de ceux qui illustrent aujourd'hui le renouveau de l'art mozartien.

                          Benoit Duteurtre

Programme

Oeuvres

Joseph HAYDN

  • Trio n°43 pour pianoforte et cordes Hob. XV : 15

Giuseppe Maria CAMBINI

  • Quatuor n° 2 (18ème Livre)

Wolfgang Amadeus MOZART

  • Quatuor « Les Dissonances » K. 465
  • Concerto pour pianoforte et cordes en ut majeur K. 414
Interprètes

 

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QUATUOR CAMBINI

  • Julien CHAUVIN violon
  • Karine CROCQUENOY violon
  • Cécile BROSSARD alto
  • Atsushi SAKAï violoncelle

Chie HIRAI pianoforte