De la Cour à l’Église au XVIIe siècle

Publié dans Saison 2013-2014

Avant-propos

Airs de cour et musique baroque française

Nous allons entendre, ce soir, un choix très varié de pièces baroques françaises dont la composition s'étale de l'aube du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe siècle. Les connaisseurs auront toutefois noté la place particulière accordée, dans ce concert, à un genre très en vogue en France sous les règnes d'Henri IV, Louis XIII et Louis XIV : l'« air de cour » dont nous entendrons plusieurs exemples signés Moulinié, Lambert ou Drouart du Bousset.

Il faut rappeler en effet qu'au début du XVIIe siècle, tandis que la musique baroque et l'opéra se développaient de façon extraordinaire en Italie, au point de servir de modèle à toute l'Europe, le royaume de France cultivait déjà un un style musical spécifique dont l'air de cour est une des principales illustrations, avant-même l'action de Lully visant à caractériser l'opéra français.

Ces pièces vocales, monodiques ou polyphoniques, généralement accompagnées au luth, se multiplient dans divers recueils dont le premier connu est celui du luthiste Adrien Le Roy publié dès 1571. Mais si le terme d'« air de cour » pourrait avoir quelque chose d'un peu solennel, il faut insister au contraire sur le fait que le genre s'inscrit dans une certaine continuité de ce qu'on pourrait appeler la chanson française.

Les premiers airs de cour, souvent polyphoniques, se rattache ainsi aux chansons de la Renaissance, merveilleusement mises en musique par Jannequin ou Claude Le Jeune. Par la suite, l'air de cour va se simplifier pour devenir une suite de strophes librement variés qui semble aussi préfigurer, d'une certaine manière, cet art de la chanson et de la romance que les musiciens continueront à illustrer jusqu'aux chefs d'œuvres modernes de Poulenc, voire même de Trenet ou de Brassens. Car tous ces artistes partagent la même préoccupation, centrale dans l'histoire de la musique française, qui est la recherche d'une mélodie très proche du texte dans ses moindres inflexions.

Dès cette époque, un certain nombre de traités assurent d'ailleurs qu'il existe en Europe deux grands styles vocaux : l'italien et le français – qui découlent probablement de la structure même de la langue et de sa prosodie : le style italien étant plutôt basé sur l'élan, le contraste, l'expression, la virtuosité ; tandis que le style français vise d'avantage la nuance poétique. Je cite le musicologue Henry Prunières « Certes, nous sommes loin du prodigieux jaillissement de l'Italie, mais nul ne sait comme un français d'alors ciseler une strophe poétique sur une phrase chantante ». Cette différence explique sans doute, pour une part, que l'opéra italien soit devenu beaucoup plus international, tandis que l'opéra français demande une parfaite maîtrise de la langue, du texte, de la compréhension, à laquelle les « baroqueux » se sont beaucoup attachés ces dernières décennies pour tenter de le faire revivre.

On peut en tout cas voir cet air de cour comme l'un des modèles qui vont servir à Lully pour façonner l'opéra français, et ce programme permet d'apprécier plusieurs jalons de son évolution qui commence à la cour d'Henri IV, lui même féru de musique, pour s'achever au début du XVIIIe siècle. Le genre connaît son apogée sous le règne de Louis XIII, avec notamment Estienne Mouliné, (1599-1676), l'un des maîtres de cette première époque, dont nous allons entendre le fameux Consert de différens oyseaux.

Par la suite, les recueils d'airs variés continuent à paraître, faisant appel à de nouvelles générations de compositeurs, tel Michel Lambert (1610-1696) qui sera le maître de musique du jeune Louis XIV, et de qui nous entendrons l'air intitulé Ombre de mon amant. Plus jeune encore, Jean-Baptiste Drouard de Bousset (1662-1725), musicien de la génération de Rameau poursuit cette tradition avec Pourquoy, doux rossignols. Mais vous noterez aussi qu'un de ces airs J'avais cru qu'en vous aymant, est anonyme... caractéristique d'un temps où les auteurs n'éprouvent pas le besoin absolu de mettre en avant leur nom – qui ne leur rapporte d'ailleurs aucun droit, une fois la musique vendue !

Musique instrumentale

Ces airs de cour alterneront, dans notre programme, avec diverses pièces pour ensemble instrumental. Nous entendrons pour commencer le prélude en sol mineur, pour flûte et théorbe, de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), compositeur lorrain monté à Paris en 1724. Il a produit en abondance des œuvres instrumentales, souvent légères et séduisantes, et fut également l'un des chefs d'orchestre de la foire Saint-Laurent et de la foire Saint-Germain, ancêtres de l'opéra-comique.

D'autres pièces proviennent du répertoire de danse, très important dans la musique de cette époque. Il faut en effet rappeler que la France est, par excellence, le pays du ballet, continuellement mêlé au chant et à l'opéra, plus encore sous l'influence du Roi Soleil, lui même excellent danseur. A côté du répertoire de cour foisonnent également les danses de caractère populaire, souvent anonymes elles aussi, comme ces deux morceaux que nous entendrons. Leurs titres caractéristiques de la France baroque évoquent des personnages, des lieux, des caractères : en l’occurrence La Fürstemberg, danse populaire, par allusion à cette ville du Brandebourg et La Royale.

Ces deux danses ont été en partie reconstituées par l'ensemble instrumental. Il existe en effet une certaine liberté d'interprétation pour tout la musique de cette époque, dont les partitions sont plutôt des guides que des textes figés de la première à la dernière note. Cette latitude concerne notamment les parties de basse et d'accompagnement, mais aussi l'ornementation mélodique dans les airs de cour, sans oublier le rythme, qui conduit les interprètes à accomplir un travail plus proche du jazz que de la musique classique, !

La notation va toutefois se préciser de plus en plus au fil du temps, et l'écriture des œuvres d'un grand compositeur comme Marin Marais (1656-1728) est infiniment plus structurée dans ces deux pièces instrumentales extraites de la cinquième suite des pièces en trio pour deux dessus et basses continue. Ce prélude et cette chaconne illustrent l'art d'un grand compositeur, popularisé par le cinéma comme virtuose de la viole, mais auquel on doit aussi des opéras comme Alcyone, et une abondante production de musique instrumentale.

Couperin

Enfin, dans un dernier contraste entre musique légère et musique religieuse, notre programme s'achèvera sur un chef d'œuvre de François Couperin (1668-1733), dit Couperin le grand, puisqu'il est le musicien le plus fameux de cette extraordinaire lignée de compositeurs, clavecinistes et organistes, dont le souvenir est encore présent à l'église Saint-Gervais, à Paris.

La famille a compté d'autres musiciens considérables, à commencer par son oncle Louis Couperin, maître incontesté de l'orgue et du clavecin. Mais le fait est que François domine la musique française de son époque avec Lully et Charpentier. Son rayonnement a été extraordinaire, jusqu'en Allemagne, où Bach n'ignorait pas ses compositions, et jusqu'à l’époque moderne où Couperin allait apparaître, avec Rameau, comme l'une des figures tutélaires du renouveau de la musique française, incarné par Debussy et ses contemporains.

On aurait tort toutefois de réduire l'art de Couperin à sa fabuleuse production de pièces pour clavecin, puisqu’il a également porté au sommet la musique religieuse dans ses Leçons de ténèbres.

Elles furent composées pour la Semaine Sainte de 1714 à l'abbaye de Longchamp et reprennent le texte des lamentations de Jérémie, issu de l'Ancien Testament où le prophète déplore la destruction de Jérusalem. De nombreux compositeurs ont d'ailleurs écrit leurs propres leçons de ténèbres, tels Charpentier, Delalande, Victoria, Gesualdo. Celles de François Couperin sont au nombre de trois, et l'on entendra la seconde, tel un résumé de l'art du compositeur : l'intimisme dans la musique religieuse, l'influence du grégorien dans les mélismes sur les lettres hébraïques qui précèdent chaque verset, le naturel mélodique proche de la chanson, mais aussi le génie mélancolique du compositeur sont portés très haut par cette inspiration religieuse.

Benoît Duteurtre

Programme

Oeuvres

Prologue : Benoît Duteurtre

Joseph-Bodin de Boismortier (1689-1755)

  • Prélude en sol mineur pour flûte traversière et basse continue

Jean-Baptiste de Bousset (1662-1725)

  • Pourquoy, doux rossignols ? pour dessus et basse continue

Estienne Moulinié (1599-1676)

  • Consert de différens oyseaux arrangement pour voix et basse continue

Anonyme

  • La Fürstemberg pour dessus et basse continue
  • La Royale pour dessus et basse continue
  • J'avais crû qu'en vous aymant pour voix et basse continue

Michel Lambert (1610-1696)

  • Ombre de mon amant pour voix, deux dessus et basse continue

Marin Marais (1656-1728)

  • Suite V en mi mineur pour deux dessus et basse continue
    • Prélude - Gravement et vivement
    • Passacaille

François Couperin (1868-1733)

  • Deuxième leçon de ténèbres pour le Mercredy Saint pour voix et basse continue
Interprètes

Ronan Khalil, Ensemble Desmaret, Dagmar Saskova © FSP JFT

  • Dagmar Saskovasoprano
  • Ronan Khalildirection musicale
  • Ensemble Desmarest
    • Dagmar Saskova mezzo-soprano
    • Ronan Khalil clavecin, orgue et direction musicale
    • Sophie Ardiet traverso
    • Reynier Guerrero violon
    • Robin Pharo viole de gambe
    • Etienne Galletier théorbe

Vidéo

Biographies

Portrait Dagmar Saskova Dagmar Saskova soprano

Boursière de la fondation Nadia et Lili Boulanger, née en République Tchèque, Dagmar Saskova a suivi ses études musicales avec Ludmila Kotnauerova au sein de l'Université de Bohême occidentale à Pilsen, puis au Conservatoire national supérieur de musique Leos Janacek de Brno. En 2008, Dagmar Saskova termine brillamment ses études de chant au Centre de musique baroque de Versailles. En juin 2010, elle obtient le diplôme d'études musicales de chant de la ville de Paris. Depuis 2010 elle travaille le répertoire de bel canto avec Christine Schweitzer.

Dagmar Saskova se produit régulièrement en concert avec les ensembles Il Festino, Doulce Memoire, Collegium 1704, Collegium Marianum, Le Concert brisé, La Fenice, Il Seminario musicale, Musica Florea, La Reveuse et Sagittarius.

Dagmar Saskova a interprété le rôle d'Irea dans l'opéra L´Avidita di Mida d'Antonio Draghi, dans une mise en scène de Benjamin Lazar à Praque. Elle a chanté le rôle de Corisande dans Amadis de Jean-Baptiste Lully, une coproduction du Centre de musique baroque de Versailles, du Théâtre d'Avignon et de l´Opéra de Massy, ainsi que le rôle d'Apollo dans Terpsicore de George Friedrich Haendel avec Musica Florea. Elle a chanté dans Egisto de Mazzochi et Marazzoli sous la direction de Jérôme Correas dans une mise en scène de Jean-Denis Monory à la Fondation Royaumont et elle incarne actuellement Melanto dans le Retour d'Ulysse de Claudio Monteverdi sous la direction de Jérôme Correas, dans une mise en scène de Christophe Rauck.

Sous la direction de Vaclav Luks (Collegium 1704) elle a interprété Maddalena dans l'oratorio d’Antonio Caldara Maddalena ai piedi di Christo, chanté en tant que soliste dans la Messe en si de Jean-Sébastien Bach au Festival de musique sacrée de la Chaise-Dieu et participé au programme Vêpres à la Vierge de Paolo Bencini avec le Centre de musique baroque de Versailles.

Elle a participé aux enregistrements des Histoires sacrées de Henri-Joseph Rigel, de la Messe en si de Jean-Sébastien Bach avec l’ensemble Pygmalion sous la direction de Raphaël Pichon et, en tant que soliste, aux Grands Motets de Pierre Robert et aux Histoires Sacrées de Marc Antoine Charpentier sous la direction d´Olivier Schneebeli ; elle a également enregistré des extraits de Opella nova et à l´intégrale de Fontana d´Israel de Johann Hermann Schein avec l´ensemble Sagittarius sous la direction de Michel Laplénie ; les cantates pour soprano de Dietrich Buxtehude avec Le Concert brisé sous la direction de William Dongois; L'air italien au temps de Louis XIII avec l'ensemble Il Festino sous la direction de Manuel de Grange) ; l'Oratorio de Pâques de Carl Heinrich Graun avec la Kölner Akademie sous la direction de Michael Willens.

On la verra bientôt dans le rôle titre de Didon et Enée de Henry Purcell à Lyon avec l'ensemble La Fenice sous la direction de Jean Tubéry et dans le rôle de Ninfe dans l'Orfeo de Claudio Monteverdi avec l'ensemble Academia sous la direction de Françoise Lasserre à New Delhi en Inde.


Portrait Ronan KhalilRonan Khalil

Né en 1986, Ronan Khalil découvre la musique ancienne à la Maîtrise de Bretagne avant d'étudier le clavecin auprès de Pascal Dubreuil au Conservatoire national de région de Rennes puis auprès de Sharon Gould à la Chetham's School of Music de Manchester. Diplômé du Conservatoire royal de La Haye dans la classe de Fabio Bonizzoni, il a également reçu les précieux conseils d'Elisabeth Joyé, Patrick Ayrton, Christophe Rousset, Carole Cerasi, Pierre Hantaï et travaillé le chant avec Peter Kooy, Christiaan Immler et Kees-Jan de Koning. Il poursuit ses études en France au Conservatoire national supérieur de musique et danse de Paris dans les classes d’Olivier Baumont, Blandine Rannou, Kenneth Weiss et obtient le prix de basse continue avec les plus hautes distinctions.

En 2008, il remporte le premier prix et le prix du public au concours international de clavecin de la fondation Marcelle et Robert de Lacour (Festival d’Auvers-sur-Oise Opus 28) puis en 2009, le premier prix du concours international de clavecin de Bologne ainsi que le prix Oriolis-Kriegelstein à Paris. Plus récemment, il remporte le prix du public lors du concours Westfield organisé à l'université de Maryland (USA).

Il a travaillé sous la direction de chefs tels que Christophe Rousset, William Christie, Alessandro de Marchi, Sigiswald Kuijken, Laurence Cummings, Michel Laplénie et Claudio Ribeiro avec qui il enregistre un disque consacré à Georg Friedrich Haendel (Mr. Haendel’s Delight – ORF Alte Musik). Très sollicité en tant que soliste et continuiste, il est invité à se produire dans toute l'Europe (Festival d'Ambronay, Festival d'Aix-en-Provence, Opéra de Vichy, Handel House Museum à Londres, Festival les Clavecins de Chartres, Théâtre national de Toulouse, Les Concerts Parisiens - Philippe Maillard, Auditorium Lingotto à Turin, Centro Cultural de Belem à Lisbonne, Teatro La Fenice à Venise, Spring Organ Concert Series à Athènes, Grand Théâtre de Bordeaux, Festival Anima Mundi à Pise etc...), en Asie et en Amérique du Sud. En 2011 et de nouveau en 2013, il apparaît dans Le Neveu de Rameau de Diderot au Théatre du Ranelagh aux cotés de Nicolas Vaude et Gabriel Le Doze. Depuis 2010, il est le directeur musical de l'Ensemble Desmarest.


Portrait L'Ensemble DesmaretL'Ensemble Desmaret

Ensemble de musique ancienne fondé en 2010 et tirant son nom d’un compositeur français du 18ème siècle, l’Ensemble Desmarest réunit plusieurs jeunes musiciens, chanteurs et instrumentistes, autour du claveciniste Ronan Khalil. Sélectionné en 2012 parmi les jeunes ensembles en résidence du Centre Culturel de Rencontre d’Ambronay et en 2013 comme artiste résident à la Fondation Singer-Polignac à Paris, l’ensemble collabore avec quelques uns des chanteurs les plus talentueux de la jeune génération comme Rodrigo Ferreira, Camille Poul, Maïlys de Villoutreys, Dagmar Saskova, Manuel Nunez Camelino, Virgile Ancely et Jeanne Crousaud. Il rejoint également le réseau d’artistes P3A en collaboration avec le Théâtre des Bouffes du Nord à Paris. Depuis sa création, l’Ensemble Desmarest est invité à se produire en France (Opéra de Lille, Théâtre de Coulommiers, Chapelle du Méjan, Festival de l’Abbaye de Lessay, Festival de Deauville, Midsummer Festival du Château Hardelot, Festival d’Ambronay, Théâtre de Villefranche-de-Rouergue, Festival et Saison Jeunes Talents, Festival Lez’arts à l’écoute, Chapelle Royale de Versailles, Festival Les Ephémères, Festival baroque du Pays du Mont-Blanc etc...) et à l’étranger (Festival Pavia Barocca, Baroque Week de Bucarest, Fringe Oudemuziek Utrecht etc...). L’Ensemble Desmarest est à l’origine d’une série de concerts de musique de chambre qui verra le jour en 2014/2015 sur la ville de Rennes Métropole.

En 2012, l'ensemble reçoit le soutien du Centre Culturel de Rencontre d'Ambronay dans le cadre des résidences jeunes ensembles et intègre, plus récemment, le réseau d'artistes P3A.

L'ensemble Desmaret est en résidence à la Fondation Singer-Polignac

   

Discographie sélective

An Ode on the death of Mr. Henry Purcell de John Blow (1649 - 1708) enregistré à Paris en 2013 par l'ensemble Desmaret est disponible en téléchargement libre sur www.jamendo.com


Dagmar Saskova a enregistré Fontana d´Israël de Johann Hermann Schein (1586 - 1630) en 2012 avec l´ensemble Sagittarius sous la direction de Michel Laplénie