Fulgurances chambristes
Avant-propos
Vous entendez ce soir un chef d'œuvre du répertoire (le Premier Quatuor à cordes de Schumann), un classique méconnu (le Quintette avec piano de Saint-Saëns) et une composition contemporaine, les Scènes de bal de Thierry Escaich. J'insiste sur ce mélange parce qu'il est dans la tradition de cette maison : la princesse de Polignac a toujours mis un point d'honneur à faire entendre les grands monuments de la musique, mais aussi à explorer tous les recoins du répertoire (notamment la musique ancienne avec ses amis Saint-Saëns, d'Indy ou Nadia Boulanger), sans parler bien sûr de la place privilégiée de la musique contemporaine.
Cette diversité du programme ne simplifie pas forcément la tâche du présentateur qui doit trouver un lien entre les différents ouvrages. Mais ce ne sera pas tellement difficile, ce soir, puisque Schumann qui ouvre cette soirée fut un compositeur particulièrement cher aux musiciens français qui composent l'autre partie du programme.
Malheureusement pour lui, il n'a pas connu cette gloire de son vivant où sa musique restait peu connue en France. C'est seulement après 1860, quand elle s'est vue plus largement éditée, qu'elle a commencé à attirer l'attention de la jeune génération de compositeurs : ceux qui, comme Saint-Saëns, s'efforçaient de redonner vie à la musique de chambre en s'inspirant de l'exemple allemand – puisqu'il faut bien dire que le romantisme, en France, s'était davantage tourné vers la musique symphonique, avec Berlioz, ou vers le piano, avec Chopin.
Les modèles de cette jeune génération sont en premier lieu Haydn, Mozart et Beethoven ; mais aussi Mendelssohn, très populaire à cette époque ; et Schumann qui va prendre une place de plus en plus importante. Ses premières oeuvres de chambre diffusées en France sont le Quintette pour piano et cordes opus 44, le Quatuor avec piano opus 47 mais aussi ses premiers Quatuors à cordes joués à Paris pour la première fois en 1859-1860.
Rappelons à ce propos que l’œuvre de Schumann s'est construite méthodiquement, genre après genre. Dans une première période il a surtout composé pour le piano ; puis il s'est consacré à ses merveilleux lieder, avant d'écrire deux symphonies. Enfin, au début des années 1840, il se tourne exclusivement vers la musique de chambre, en commençant par la série de trois Quatuors à cordes op. 41, dont nous entendrons ce soir le premier, en la mineur.
Écrits dans une même foulée, ces trois ouvrages sont parfois présentés comme un seul « Quatuor en 12 mouvements », tournant autour des tonalités de la mineur et de fa majeur. Pour les composer, Schumann a commencé par étudier les quatuors de Haydn et Mozart ; mais le vrai modèle de ces œuvres libres et poétiques se situe sans doute dans les derniers Quatuors de Beethoven ; et son admiration va également vers les Quatuors de son ami Mendelssohn auquel ce cycle est dédié.
Vous remarquerez notamment, dans le premier mouvement, ce ton rêveur entretenu par le flottement des tonalités. Le second mouvement est un scherzo, genre dont Mendelssohn s'est fait le grand spécialiste. La plus belle page est sans doute le troisième mouvement où s’épanche tout le lyrisme schumannien, avant un finale enlevé, plus classiquement inspiré des modèles de Haydn.
La musique de chambre de Schumann, mais aussi ses mélodies et sa musique pour piano allaient, je l'ai dit, s'imposer progressivement dans notre pays ; car il est probable que le raffinement harmonique et l'inspiration poétique de sa musique parlaient spécialement aux oreilles françaises, notamment à Debussy ou Fauré qui allait réaliser une édition de l'œuvre pour piano de Schumann.
On ne saurait, toutefois, parler d'influence de Schumann, à propos du Quintette avec piano de Saint-Saëns, composé en 1855. Car si Schumann avait écrit dès 1842 son propre Quintette avec piano, cette œuvre restait peu connue et inédite en France. De son côté, le jeune Saint-Saëns, âgé de vingt ans, était devenu célèbre comme pianiste prodige ; mais il entamait tout juste sa carrière de compositeur avec cette partition écrite pour des concerts en famille, organisés par sa grand-tante, madame Masson, et dans laquelle commence à poindre sa personnalité.
Le renouveau de la musique de chambre en France, à cette date, est à peine amorcé. La Société Nationale de Musique ne verra le jour que quinze ans plus tard. Saint-Saëns, pourtant, montre son ambition dans cette grande partition, architecturalement inspirée de Mozart et de Beethoven. Choisissant d'associer le piano au quatuor à cordes, il préfigure une bonne partie du répertoire français qui privilégiera cette même formule du quintette, du quatuor ou du trio avec piano.
Il lui faudra encore quelques années avant de trouver pleinement son style, notamment dans le premier Trio. Mais vous noterez déjà dans ce Quintette quelques raffinement sonores qui annoncent la maturité de Saint-Saëns : certaines nappes de piano dans le premier mouvement, ou certains glissements de cordes dans le second. Le sommet de la composition se situe toutefois dans le troisième mouvement, un scherzo extraordinairement dynamique, puissant, virtuose, spécialement pour le pianiste.
Notre programme, je vous le disais se terminera par une œuvre contemporaine ; et une chose m'a toujours frappé chez Thierry Escaich, : le fait d'être une compositeur contemporain, écrivant une musique très moderne, à sa façon, ne l'a jamais empêché d'entretenir des liens étroits avec la tradition musicale française.
Je ne pense pas tellement, d'ailleurs, à Saint-Saëns, mais plutôt peut-être à César Franck dont il semble partager le lyrisme puissant. En outre, Escaich comme Franck et nombre de compositeurs français, est aussi un organiste, virtuose de cet instrument sur lequel il se produit dans le monde entier. C'est aussi un improvisateur extraordinaire, musicien riche de tous les dons, qui lui valent d'être reconnu, à moins de cinquante ans, comme un des grands compositeurs vivants.
Les Scènes de bal sont cinq pièces pour quatuor à cordes composées en 2000, dans le cadre de la série « alla breve » commandée par Radio France. Elle s'inspirent du film Le Bal d'Ettore Scola, et de ce dancing vide où les rythmes de danse resurgissent comme des souvenirs.
L'aspect rythmique est donc très marqué ; mais Thierry Escaich puise autant dans les danses d'autrefois que dans des rythmes très contemporains. La première pièce s’inspire de la valse, la seconde du tango, la troisième est un slow et, dans la quatrième vous remarquerez les rythmes appuyés du disco. Enfin, comme souvent chez Escaich, le finale a l'air d'une grande toccata mais qui retombe assez vite, comme retombent les souvenirs dans cette salle de bal.
Par leur brièveté, leurs maîtrise, leurs contrastes, ces cinq pièces illustrent l'exceptionnel talent de Thierry Escaich. Je le dis d'autant plus volontiers que je ne risque pas de le faire rougir, puisqu'il est retenu à Lyon, en ce moment, pour les répétitions de Claude, l'opéra qu'il vient d'écrire avec Robert Badinter, et qui sera prochainement créé sous la baguette de Jérémie Rhorer.
Benoît Duteurtre
Programme
Biographies
Quatuor Girard
Constitué au sein d'une grande fratrie, le quatuor Girard est né d'une passion commune révélée par la pratique très précoce de la musique de chambre en famille. Un rêve d'enfant est devenu un véritable projet artistique.
Sous l'impulsion de François Salque au Conservatoire national supérieur de musique de Paris en 2008, du quatuor Ysaÿe au Conservatoire à rayonnement régional de Paris en 2010, et enfin de Miguel da Silva à la Haute Ecole de musique de Genève en 2011, le Quatuor Girard ne tarde pas à se faire remarquer au cours de grandes compétitions internationales. Lauréat du concours de Genève en novembre 2011, le quatuor a remporté en 2010 le Prix Académie Maurice Ravel à Saint-Jean-de-Luz. Il En 2011, il est lauréat de la Fondation Banque Populaire et lauréat HSBC de l'Académie du Festival d'Aix-en-Provence.
Grâce au soutien de l'ECMA-European Chamber Music Academy, de l'Académie musicale de Villecroze, de l'Académie du festival d'Aix-en-Provence et de l'association Proquartet, le quatuor a eu l'opportunité de rencontrer et de travailler avec des membres des quatuors Alban Berg, Arditti, Artis, Cleveland, Keller, Jerusalem, Lindsay, Talich ainsi qu'avec des pianistes tels qu'Alfred Brendel et Jean-François Heisser.
Dans leurs engagements passés ou à venir, on compte l'Auditorium du Musée d'Orsay, l'Opéra-Comique, le Théâtre du Châtelet, le Grand Salon des Invalides, le Festival Jeunes Talents à Paris, les Soirées et Matinées musicales d'Arles, l'Académie de la Chaise-Dieu, les festivals de Cordes-sur-ciel, Pâques de Deauville et de Menton, les Jeudis Musicaux des églises romanes à Royan, les Journées Ravel de Montfort l'Amaury, Musique en Albret, Pentecôte en Berry. Il est sélectionné pour participer au programme Générations SPEDIDAM.
Le quatuor a fait ses débuts au Wigmore Hall de Londres en janvier 2012.
Le Quatuor Girard se produit avec des musiciens de renom tels que Maurice Bourgue, Miguel da Silva, Nicolas Dautricourt, Raphaël Pidoux, François Salque, Dame Felicity Lott...
Le quatuor Girard est régulièrement sollicité pour France Musique par Arièle Butaux, Gaëlle le Gallic et Frédéric Lodéon et par Radio Classique. Il collabore également avec Jean-François Zygel.
En novembre 2012, le quatuor Girard publie son premier disque, pour les Discophiles Français, déjà primé par la critique (choix de France Musique, Qobuzissime)
Depuis juillet 2011, le quatuor Girard est en résidence à la Fondation Singer-Polignac. Il est soutenu par la Fondation d'Entreprise Banque Populaire, ainsi que par l'association Hélène Berr, l'Académie musicale de Villecroze et la Fondation de France.
Hugues Girard joue un violon Niccolo Gagliano de 1735, Agathe Girard un Landolfi de 1759, et Lucie Girard un violoncelle Bernardel Père de 1865, l'ex-Navarra, prêtés par la fondation Zilber.
Guillaume Bellom piano
Né en 1992, Guillaume Bellom débute conjointement l'étude du piano et du violon à l'âge de six ans au Conservatoire à rayonnement régional de Besançon. Il y obtient en 2008 ses prix de piano, de violon et de musique de chambre.
En 2009, il est admis à l’unanimité au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe de piano de Nicholas Angelich et Romano Pallottini et a également suivi les enseignements de Franck Braley, Marie-François Bucquet, Dominique Merlet, Dany Rouet, Denis Pascal, Leon Fleisher ou encore Jean-Claude Pennetier.Il poursuit actuellement un “master” dans la classe d'Hortense Cartier-BressonEn 2011, il est reçu à l’unanimité au concours d’entrée en violon du Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe de Roland Daugareil, Suzanne Gessner et Serge Pataud après avoir travaillé deux ans avec Christophe Poiget au Conservatoire à rayonnement régional de Boulogne-Billancourt.
Il est lauréat à l'unanimité du concours de piano des Jeunes Musiciens à Besançon en 2008, grâce auquel il a joué le concerto de Grieg avec l'orchestre Philharmonique de Besançon, puis le 1er concerto de Brahms l'année suivante.
Son grand intérêt pour la musique de chambre le pousse à se produire au sein de diverses formations, notamment au Festival de Pâques et à l'Août musical de Deauville. Il se produit régulièrement à la Fondation Singer-Polignac où il est pianiste résident depuis 2012, au Bel-Air Claviers festival à Chambéry, ou encore aux Rencontres Internationales de piano à Mouveaux.
Il vient d'enregistrer son premier disque consacré à Schubert en compagnie d'Ismaël Margain avec qui il se produit régulièrement à quatre mains.
Présentation