Valses de chants d'amour
Avant-propos
Valses et chants d'amour
Les trois compositeurs à l'honneur, ce soir, forment une véritable famille d'artistes.
Ils se sont rapprochés d'abord par l'amitié, Mendelssohn et Schumann se fréquentant dès leur jeunesse, en tant que figures du premier romantisme ; et si Brahms n'avait quatorze ans lors de la disparition prématurée de Mendelssohn, il allait frapper à la porte de Schumann qui devait l'encourager et jouer le rôle de père spirituel.
Mais cette amitié est également artistique, puisque ces trois musiciens, dans l'Allemagne romantique, représentent une même tendance, attachée à la tradition de Bach et de Beethoven. On associera souvent leur nom à une forme de classicisme, par opposition au romantisme plus révolutionnaire de Wagner et de Liszt.
Enfin, puisque nous nous trouvons ce soir à l'oratoire du Louvre, il faut souligner que cette proximité artistique passe par un même lien profond à la musique luthérienne – de façon d'ailleurs différente pour chacun d'entre eux. Mendelssohn est issu d'une famille d'intellectuels juifs convertis ; Schumann est le petit fils d'un pasteur – mais il se dira plus tard « religieux sans religion ». Brahms est peut-être le plus strict des trois dans son attachement au protestantisme – encore qu'il ait passé une bonne partie de sa vie à Vienne, en plein pays catholique.
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Quoiqu'il en soit, tous trois sont nourris par la pratique du choral et cette écriture à quatre voix héritée notamment de Jean-Sébastien Bach. Mendelssohn et Schumann ont fondé ensemble la Bachgesellschaft de Leipzig et œuvré de façon décisive pour la redécouverte du Cantor. Des années plus tard, on qualifiera Brahms de Bach du romantisme et l'on retrouve dans toute leur musique – y compris lorsqu'ils écrivent pour le piano ou pour l'orchestre – cette même structure héritée du choral et du contrepoint à quatre voix.
C'est donc tout naturellement que ces trois compositeurs vont eux-mêmes écrire, tout au long de leur vie, des pièces chorales à quatre voix. Cet immense répertoire pratiqué dans toute l'Allemagne est pour une part religieux, mais il s'étend également aux divers registres de la vie profane : la fête, l'amour, la poésie. Il rejoint alors l'esprit du lied, sans accompagnement de piano, mais en partant des mêmes sources littéraires. Il arrivera d'ailleurs qu'on retrouve le même poème traité par Schumann sous forme de lied et sous forme de chœur à quatre voix.
Pour cette soirée, Mathieu Romano, chef de l'ensemble Aedes, a choisi de privilégier les chansons d'amour qui constitueront le fil conducteur du concert : d'abord six lieder de Mendelssohn issus des divers recueils qu'il a publiés ; puis un choix de ballades et de romances de Schumann, composés pour le chœur qu'il dirigeait à Dresde et qui marquent cette rencontre entre la tradition du lied et celle du choral. Vous y reconnaîtrez notamment le fameux Roi de Thulé de Goethe ; et vous apprécierez le jeu des quatre voix qui, selon Schumann, lui permettait d'apporter une plus grande diversité expressive.
Quelques décennies plus tard, Johannes Brahms allait reprendre dans certaines pièces pour piano les mêmes sous-titres de « romances » et « ballades ». Ce sont là en fait des formes poétiques et musicales qui existent depuis le Moyen-âge – les romances d'inspiration plutôt sentimentale, les ballades plus souvent épiques ou légendaires. A première vue, ces références peuvent paraissent bien éloignées de l'écriture très sophistiquée des pièces pour piano composés par Brahms à la fin de sa vie... Mais, en réalité, ces Klavierstücke partent souvent de thèmes assez simples, presque populaires ; de même qu'ils reposent sur une écriture harmonique issue du choral. Le compositeur montre ainsi son attachement aux sources traditionnelles de la musique allemande – quoique son style pianistique tellement raffiné tende à dissoudre et masquer quelque peu ces sources d'inspirations.
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Une des célèbres Danses hongroises pour piano à quatre mains nous conduira à la deuxième partie et au point culminant de ce programme : les Liebesliederwalzer qui furent, à leur création, l'un des grands succès du compositeur – même si on les donne malheureusement un peu moins aujourd'hui.
Dans ces chansons d'amour, on a l'impression que l'art de Brahms, en pleine maturité, choisit de combiner la tradition de l'écriture chorale à quatre voix, la couleur et la virtuosité du piano et les trois temps de Valse qui sera l'un des rythmes favoris de tout le XIXe siècle, bien au delà de l'Autriche et de l'Allemagne.
A ce point du concert, il nous faut d’ailleurs évoquer un autre nom qui a joué un rôle essentiel, tant pour Schumann que pour Brahms, quand bien même il n'est pas luthérien mais catholique puisqu'il s'agit du viennois Franz Schubert. Ce musicien qu'ils n'ont pas connu a exercé une influence décisive sur leurs œuvres, en apportant au romantisme un caractère plus solaire, et l'exemple de son extraordinaire inspiration mélodique. Schubert est, par ailleurs, le premier compositeur classique a avoir popularisé le genre de la valse dans des compositions qui vont également servir de modèle à ses cadets.
Tout au long de sa vie, il a composé quantité de petites valses et de laëndlers pour piano : des pièces simples, festives, populaires, qui inspireront également Johann Strauss et Lanner quand ils créeront leurs orchestres de danse. Et c'est également à ce modèle de valse campagnarde, joyeuse et amoureuse, que se réfère Brahms en composant ses Libesliederwalzer – quand bien même il met en oeuvre une écriture beaucoup plus riche et raffinée.
Ces pièces ont été composées sur des textes du poète allemand Georg Friedrich Dauner – ou plutôt sur ses traductions de chants populaires issus de toute l'Europe : Russie, Pologne, Hongrie, Turquie, Espagne, Serbie, etc... De tels recueils avaient beaucoup de succès à l'époque, et Brahms a choisi pour son premier recueil dix huit textes, pour composer dix huit valses, d'esprit varié mais toujours joyeux, et d'une extraordinaire diversité de style et de rythme, quand bien même il s'appuie toujours sur la valse à trois temps.
Précisons que, dans la première version, les valses pouvaient être jouées au piano seul ou avec le choeur. Mais cette seconde version s'est immédiatement imposée, dès la création à Karlsruhe, en 1869 – où Clara Schumann, d'ailleurs, tenait une des deux parties de piano.
Brahms s'est montré si heureux de cette composition qu'il allait entreprendre, quelques années plus tard, un deuxième recueil, 14 nouvelles valses opus 65. Nous vous proposerons donc, ce soir, un choix de pièces extraites des deux recueils qui nous aideront à terminer l'année sur un ton joyeux et printanier avant l'heure.
Benoit Duteurtre
Programme
Biographies
Jonas Vitaud piano
Jonas Vitaud commence le piano à six ans et l’orgue à onze ans. À douze ans il obtient le prix d’honneur du « Royaume de la musique » de Radio France et joue en soliste avec l’orchestre de la Garde Républicaine. Lauréat de la fondation Tarazzi et de la fondation Drouet-Bourgeois, il obtient au Conservatoire national supérieur de musique de Paris quatre 1ers prix : piano (Brigitte Engerer), musique de chambre (Christian Ivaldi), accompagnement au piano (Jean Koerner) et harmonie (Jean-Claude Raynaud). Il est admis à l’unanimité en cycle de perfectionnement, et reçoit de la fondation Alfred-Reinhold de Leipzig un piano à queue Blüthner. Lauréat de plusieurs concours internationaux (Lyon, Trieste, Munich, Beethoven de Vienne), il est l’invité des principaux festivals français (festival de Pâques de Deauville, Sceaux, Reims, Noirlac, Musique sur Ciel, Sully, La Roque-d’Anthéron, Piano en Valois, Radio France, lac du Bourget) tant en soliste qu’en chambriste. En Allemagne, Angleterre, Espagne, Russie, Iran, Italie, Japon, Pologne, Chine et Thaïlande, il se produit avec Bertrand Chamayou, Aldo Ciccolini, Augustin Dumay, Brigitte Engerer, Philippe Cassard, Alexandre Tharaud, Laurent Korcia, les quatuors Debussy et Ébène et a collaboré avec les compositeurs Henri Dutilleux, Thierry Escaich, György Kurtág, Thomas Adès, Christian Lauba (dont il a créé le triple concerto avec l’orchestre du Mulhouse), Philippe Hersant au festival de Cordes-sur-Ciel. Avec Julien Dieudegard (violon) et Noémie Boutin (violoncelle), il forme le trio Cérès. Il participe régulièrement à des émissions sur France musique, Radio Classique ou Mezzo.
Jonas Vitaud est en résidence à la Fondation Singer-Polignac et est lauréat de la fondation d’entreprise Banque Populaire. Avec le trio Cérès, Jonas a enregistré des œuvres de Fauré, Ravel et Hersant (Oehmclassics). Un récital consacré à Brahms vient de paraître (Orchid classics).
Guillaume Vincent piano
Guillaume Vincent est né le 9 octobre 1991 à Annecy. Il a commencé le piano à l’âge de sept ans au Centre de pratique musicale d’Annecy. Très tôt il a fait preuve d’une grande passion pour la musique et d’un profond plaisir de jouer en public. Dès l’âge de dix ans il a donné ses premiers concerts avec orchestre avec, notamment, le concerto n° 2 de Mozart et le concerto n° 3 de Beethoven.
À treize ans, il était invité aux côtés du trompettiste David Guerrier aux « Jeunes Talents » organisé en 2005 par le Lion’s Club International au théâtre d’Annecy, où il interprétait le concerto n° 1 de Beethoven et La Vallée d’Obermann de Liszt. Après avoir suivi des masterclasses avec François-René Duchable et Jacques Rouvier, il est admis en 2005 au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe de Jacques Rouvier.
En janvier 2007, lors d’un concert organisé par la fondation de France au conservatoire de Paris, il reçoit le prix Drouet-Bourgeois et obtient une bourse pour y poursuivre ses études. En 2009 il est 3e prix du concours international Marguerite Long-Jacques Thibaud à Paris. En juin 2010, il est 1er prix du concours international Adilia Alieva à Gaillard. En septembre 2008, après le concours de Leipzig, il est sélectionné en janvier 2009 pour le concours Young Concertists Auditions à New York où il sera demi-finaliste. En tant que premier nommé, il est invité à jouer au festival d’Usedom. Depuis 2008, il se produit régulièrement en soliste, en musique de chambre et avec orchestre dans de nombreux festivals et saisons musicales tels que la fondation Singer-Polignac, Jeunes Talents, le Festival de Pâques et Août musical de Deauville, printemps de Saint-Jean-de-Luz, Musica en el Reino de Leon (Espagne), Nohant, Rencontres musicales de Noyers, Piano en Saintonge, Serres d’Auteuil, Festival d’Usedom, Montfort l’Amaury. En 2011, Guillaume Vincent sera l’invité des Folles Journées de Nantes et de Tokyo, de l’orchestre de Poitou-Charentes dirigé par Jean-François Heisser et du festival de La Roque-d’Anthéron.
Guillaume Vincent est en résidence à la Fondation Singer-Polignac.
Ensemble Vocal Aedes
Fondé en 2005 par Mathieu Romano, l’ensemble vocal Aedes a pour vocation d’interpréter les œuvres majeures et les pièces moins célèbres du répertoire choral des cinq siècles passés jusqu’à la création contemporaine.
Composé, selon les programmes, de seize à trente-deux chanteurs professionnels, l’ensemble Aedes a déjà inscrit à son répertoire de nombreux cycles a cappella, participé à des projets avec orchestre et proposé différents programmes pour chœur et piano ou chœur et orgue.
Il collabore régulièrement avec des ensembles renommés tels que le Cercle de l’Harmonie (direction : Jérémie Rhorer et Julien Chauvin), les Musiciens du Louvre-Grenoble (direction : Marc Minkowski), la Maîtrise de Paris (direction : Patrick Marco), ou encore Les Nouveaux Caractères (direction : Sébastien d’Hérin).
L’ensemble s’est notamment produit à l’Auditorium du Louvre, au Festival de Pâques de Deauville et au Théâtre musical de Besançon en 2010, à l’Opéra royal de Versailles, au Théâtre de l’Athénée, aux festivals d’Auvers-sur-Oise, de Beaune et de Noirlac, ainsi qu’à l’Auditorium du Musée d’Orsay et sur différentes scènes nationales françaises (Quimper, Angoulême, La Rochelle) en 2011. Il sera programmé au Théâtre des Champs-Elysées et au Festival de Saint-Denis aux côtés du Cercle de l’Harmonie, à la Salle Pleyel, à l’Auditorium de Dijon, au Festival de la Chaise-Dieu ou encore à l’Abbaye aux Dames de Saintes en 2012.
La musique du 20e siècle et la création contemporaine tiennent une place essentielle dans les activités de l’ensemble. En 2008, l’ensemble Aedes crée une commande faite au compositeur Philippe Hersant. En 2011, il crée un oratorio pour chœur de Thierry Machuel dans le cadre du Festival de Clairvaux. En 2012, il assurera la création française de Furcht und Zittern, oeuvre de Brice Pauset en partenariat avec l’Orchestre Dijon Bourgogne.
L’ensemble invite fréquemment des chefs ou personnalités reconnues du milieu musical dans le cadre de la préparation de certains programmes : Hervé Niquet pour la musique baroque française, Joël Suhubiette pour le répertoire a cappella du 20e siècle, Catherine Simonpietri pour le répertoire contemporain, ou encore Dominique Visse pour la chanson de la Renaissance.
L’ensemble Aedes a déjà gravé un premier disque consacré au compositeur Franz Liszt et intitulé « Via crucis » en 2007. Son deuxième disque intitulé « Ludus verbalis » et consacré aux musiques profanes a cappella du 20e siècle, est paru sous le label Eloquentia (distribution Harmonia Mundi) au mois de juin 2011, consécutivement à un concert au Festival d’Auvers-sur-Oise et a été récompensé d’un Diapason découverte au mois de septembre 2011.
L'ensemble bénéficie du soutien de la Fondation Orange, du Ministère de la Culture et de la Communication - Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bourgogne, du Conseil Régional de Bourgogne, de la Fondation Bettencourt-Schueller, de la Fondation Safran, du Groupe Swiss Life, de Musique Nouvelle en Liberté (MNL) et du Fonds pour la Création Musicale (FCM). Il est accueilli en résidence à la Fondation Singer-Polignac, au Conservatoire du 10e arrondissement de la Ville de Paris ainsi qu’à la Cité des Musiques d’Auxerre. Il est également Lauréat 2009 du Prix Bettencourt pour le chant choral décerné par l’Académie des Beaux-Arts.
Mathieu Romano direction
Né en 1984, Mathieu Romano débute ses études musicales à l’École nationale de musique d’Auxerre. Il y étudie la flûte traversière, le piccolo, le piano et la direction de chœur. Après l’obtention en 2003 d’un diplôme d’études musicales de direction d’ensembles vocaux et d’un diplôme d’études musicales de flûte traversière, il intègre, en 2005, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Il y obtient en 2009 deux diplômes de formation supérieure, en flûte et en musique de chambre.
Parallèlement à sa formation de flûtiste, c’est avec Didier Louis puis François - Xavier Roth et Catherine Simonpietri qu’il se perfectionne à la direction d’orchestre et de chœur. Il participe également à des master classes de direction en France et à l’étranger (Pierre Cao, Gunnar Ericsson, Stephen Cleobury, Jos van Veldhoven).
Il intègre en septembre 2009 la classe supérieure de direction d’orchestre du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris où il suit l’enseignement principal de Zsolt Nagy mais aussi de chefs invités comme Pierre Boulez, Pierre-André Valade, Claire Levacher...
Il fonde en 2005 l’Ensemble vocal Aedes.