L'âme et la corde

Publié dans Saison 2009-2010

Brahms et Bartok

Les deux compositeurs de ce programme présentent au moins un point commun géographique : installé à Vienne dans la dernière partie de sa vie, Brahms fut en effet l'une des gloires musicales de l'empire austro-hongrois – et le compositeur de fameuses Danses hongroises, qui semblent vouloir rendre hommage à la musique populaire de ce pays. Bartok, de son côté, fut le plus illustre compositeur hongrois du XXe siècle ; mais, en réalité, leur regard sur la Hongrie et sur sa musique les situe plutôt aux antipodes l'un de l'autre.

La musique hongroise à laquelle Brahms fait référence, dans de nombreuses pages, est en effet le folklore tzigane, tel qu'il s'est répandu dans toute l'Europe centrale, au point d'en devenir la couleur emblématique à côté de la grande musique classique viennoise. Au contraire, Bela Bartok – né dans une Hongrie qui rêvait de s'affranchir de la tutelle autrichienne - a consacré une grande partie de sa vie à la découverte de la véritable tradition populaire : non pas celle des tziganes, mais la musique complexe et méconnue des paysans hongrois et roumains qui allait nourrir son travail de compositeur.

On comprend donc que Bartok ait toujours montré un certain agacement devant les titres des Rapsodies Hongroises de Liszt ou des Danses hongroises de Brahms – malgré son admiration pour ces deux compositeurs ; parce qu'il souhaitait, lutter contre cette confusion et faire découvrir la vraie richesse du folklore centre-européen.

N'allons pas croire pour autant que ce folklore constitue sa principale source d'inspiration comme compositeur - un autre malentendu parmi tous ceux que Bartok semble vouloir évacuer, dans une très intéressante lettre de décembre 1924, écrite au moment de la création de son opéra Barbe Bleue et que je ne résiste pas au plaisir de vous citer :

« En ce qui concerne l'exécution, je vous prierai :

1. de ne pas faire ressortir trop le caractère folklorique de ma musique ;

2. d'insister sur le fait que, dans ces œuvres scéniques comme dans mes autres œuvres originales, je ne fais jamais usage de mélodies populaires ;

3. que ma musique est tout à fait tonale et

4. qu'elle n'a rien de commun avec la manière « objective » et « impersonnelle » (donc en fait qu'elle n'est pas du tout « moderne » !) ».

Voici des propos doublement intéressants de la part d'un artiste longtemps considéré comme l'un des prophètes de la modernité radicale. On en conclura que Bartok s'est nourri de l'étude des musiques populaires, qu'il s'est passionné pour la musique moderne de son temps (Debussy et Schönberg en premier lieu), qu'il s'est essayé à toutes les expériences, mais qu'il a voulu d'abord créer un langage personnel, expressif, directement accessible, et marqué du sceau de ce qu'il appelait la « géniale simplicité ».

*

Ce désir s'accentuera encore avec son exil aux États-Unis, pendant la Seconde Guerre mondiale, où il n'hésitera pas à renouer avec une forme de classicisme, par exemple dans son Concerto pour orchestre – partition qui sera violemment attaquée par l'avant-garde pure et dure.

La Sonate pour violon seul, qui date également des dernières années américaines, est une œuvre plus âpre, exigeante, complexe, mais empreinte de ce même désir d'atteindre un langage universel. Elle se caractérise d'abord par la référence à Bach, dans les deux premiers mouvements, une Chaconne et une Fugue, d'une écriture polyphonique très virtuose avec leurs notes tenues et leurs pizzicatos.

Dans les deux derniers mouvements, l'écriture paraît plus simple, parfois franchement tonale, et fait discrètement référence aux influences populaires hongroises, devenues plus prégnantes au cours de l'exil américain.

Il faut rappeler à ce propos que l'exil de Bartok fut douloureux moralement, difficile socialement et pécuniairement. La rencontre en 1942 du jeune et déjà célèbre Yehudi Menuhin, plein d'admiration pour le compositeur, allait toutefois contribuer à améliorer sa situation. C'est pour lui que Bartok a écrit cette sonate, créée par Menuhin à New York le 26 novembre 1944.

*

Contrairement à la sonate, les 42 duos pour deux violons composés dix ans plus tôt, en 1931, sont l'une des œuvres de Bartok qui recourent pleinement à l'inspiration populaire. Créateur mais aussi pédagogue, il pensait que la simplicité et la richesse de la musique traditionnelle offraient à l'oreille des enfants la meilleure formation possible. Il en a tiré de nombreuses pièces pour piano et ces duos pour deux violons. Vous en entendrez ce soir quelques-uns qui explorent toute la richesse des gammes et des rythmes des chants et danses paysannes, hors des codes habituels de la musique classique. Comme la sonate de Bartok, le Quintette avec clarinette de Brahms est né de la rencontre avec un interprète. En 1890, Brahms qui approche les soixante ans est au sommet de sa gloire. Il vient d'être décoré par l'empereur François-Joseph et après des années très actives, il se dit désireux de moins composer.

C'est alors qu'il retrouve dans un orchestre allemand, au cours d'un voyage à Meiningen, un clarinettiste rencontré des années auparavant : Richard von Mühlfeld, avec lequel il va passer la plus grande partie de son séjour, se faisant jouer tout le répertoire et expliquer les différentes possibilités de l'instrument.

De cette rencontre vont naître quatre partitions qui sont, avec la musique pour piano solo, le dernier grand pan de l'œuvre de Brahms : deux sonates pour clarinette et piano, le trio avec clarinette opus 114 écrit d'un seul jet au cours de l'été 1890, immédiatement suivi par ce quintette pour clarinette et quatuor à cordes qui couronne la série.

L'œuvre est créée à Meiningen par Mühlfeld à la clarinette, Brahms lui même au piano et son grand ami le violoniste Joseph Joachim.

Cette partition a toute la mélancolie des dernières œuvres de Brahms, mais aussi leur liberté aux allures d'improvisation, leur science devenue naturelle. Vous remarquerez en particulier le second mouvement, sorte de lied d'amour à trois temps et son magnifique chant de clarinette de caractère hongrois – ou plutôt tzigane - si caractéristique de Brahms. Je voudrais, pour conclure, citer le grand critique musical Claude Rostand dans le commentaire qu'il a laissé de cette œuvre :

« Une des plus belles pages de la période automnale de la vie de Brahms. Une grande confession résignée, toute baignée d'une atmosphère mélodique pleine de tendresse. Rien de pathétique, nulle recherche d'éclats ni d'effets éloquents. C'est l'œuvre d'une douce et paisible vieillesse. Les timbres des différents registres de la clarinette sont utilisés ici avec un bonheur particulier, cet instrument apportant à l'ouvrage le sentiment d'intimité et de familiarité qui en fait le caractère principal. »

Benoît Duteurtre


Programme

Oeuvres

Béla BARTÓK (1881-1945)

  • Sonate pour violon seul Sz. 117
  • Duos pour deux violons Sz. 98

Johannes BRAHMS (1833-1897)

  • Quintette pour clarinette et cordes en si mineur opus 115
Interprètes

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Biographie

Olivier_Patey2Olivier Patey clarinette

Né le 3 juillet 1981, Olivier Patey est reçu premier nommé au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe de Michel Arrignon en février 2001.

Olivier Patey est actuellement soliste du Mahler Chamber Orchestra. Il a aussi eu l’occasion de travailler au sein d’orchestres de renom comme l’orchestre national de Lille, l’orchestre philharmonique de Radio-France, l’orchestre national de France, l’orchestre de l’Opéra de Paris, l’orchestre du Capitole de Toulouse. En septembre 2003, pour sa première participation à un concours international, il remporte le prestigieux concours de l’ARD de Munich, où lui sont attribués également le prix du public et le prix décerné par l’orchestre de chambre de Munich pour son interprétation du concerto pour clarinette de Mozart. À partir de cet instant, Olivier Patey entame une carrière de soliste, et parcourt l’Europe en se produisant avec des orchestres de renommée internationale tels que la Philharmonie de Prague, l’orchestre philharmonique de la Südwestfallen, l’orchestre de chambre de Munich et l’orchestre de la Bayerische Rundfunk. Puis en juin 2005, il remporte au Danemark le 1er prix du non moins prestigieux concours international Carl-Nielsen, et poursuit alors son périple musical vers la Scandinavie, l’Europe de l’Est et l’Amérique du Sud en se produisant avec les orchestres d’Odense, Norrköping, l’orchestre symphonique de Barquisimeto, l’orchestre de chambre de Bratislava, l’orchestre de l’Hermitage de Saint-Pétersbourg et l’orchestre national d’Ukraine pour la première édition du festival les Virtuoses de la planète. Issu du cycle de perfectionnement du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, il y obtient son diplôme de formation supérieur de clarinette en juin 2005 et remporte le concours interne des « avant-scènes », soutenu par le mécénat musical Société générale. Olivier Patey est également lauréat du programme Déclic (CulturesFrance).

Chambriste apprécié, il participe aux festivals d’été de musique au château de l’Empéri, de Salon-de-Provence, des Nuits musicales catalanes de Perpignan, de Musique sur Ciel à Cordes-sur-Ciel, de l’ARD Kammermusikfest en Allemagne, du Cervantino au Mexique, Arties Festival en Inde et bien d’autres, à l’occasion desquels il collabore avec d’éminents solistes tels que Laurent Cabasso, Paul Meyer, Gilbert Audin, Emmanuel Pahud, Philippe Berrod, Romain Guyot, Laurent Lefèvre, Danjulo Ishizaka, Christoph Poppen, le Sjaellands Strygeqvartet, le quatuor Amedeo Modigliani.

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trusler2Matthew Trusler violon

Né en 1976, Matthew Trusler a fait ses études au Curtis Institute de Philadelphie, dont il sort diplômé en 1998. Comparé par le magazine Gramophone à Jascha Heifetz, sa carrière en récital et avec orchestre s’étend de l’Europe à l’Australie, des États-Unis au Japon en passant par l’Afrique du Sud. Il a joué avec les plus fameux orchestres tels le London Philharmonic, le Royal Philharmonic, le BBC Scottish, le Halle Orchestra, le Minnesota Orchestra, le London Mozart Players, l’English Chamber Orchestra, l’Academy of St. Martin in the Fields avec sir John Neville Marriner, le Deutsches-Symphonie Orchester de Berlin, le Philharmonia Orchestra et l’orchestre de la NDR de Hanovre. Parmi ses partenaires en récital et en musique de chambre, on peut citer Wayne Marshall, Lynn Harrell, Joseph Silverstein, Peter Donohoe, Leonidas Kavakos, Imogen Cooper, Jonas Vitaud, Jérôme Ducros et David Kadouch..

En 2005, il a enregistré des sonates d’Elgar, de Janácek et de Debussy avec Martin Roscoe. En 2006, sous le titre Blues paraît son deuxième enregistrement avec Wayne Marshall. Vient de paraître l'enregistrement des concertos de Korngold et de Rósza (Orchid Classic) avec le Düsseldorfer Symphoniker dirigé par Yasuo Shinozaki.

Matthew Trusler joue un Stradivarius de 1711.

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maya_koch-2Maya Koch violon

Maya Koch a fait ses études musicales dans la classe de Josef Rissin à la Hochschule für Musik de Karlsruhe, avec Jean-Jacques Kantorow au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, et David Takeno au Guildhall School of Music de Londres.

Elle a remporté de nombreux prix dont celui du concours Bach de Baden-Baden et le 1er prix de l’International Lions Competition de Porto.

Elle a joué comme soliste en compagnie de nombreux orchestres tels le Royal Philharmonic Orchestra, le Staatsphilharmonie Rheinland-Pfalz et le Arcata Stuttgart Chamber Orchestra, et en musique de chambre avec de divers artistes renommés tels Martha Argerich, Ivry Gitlis, Sarah Koch et le Schubert Ensemble. Maya Koch se produit régulièrement en soliste et au sein du London Conchord dans de nombreuses salles et divers festival tels le London’s Wigmore Hall, le Cheltenham Festival, le Concertgebouw d’Amsterdam, le Teatro della Pergola à Florence, le Tsuda Hall de Tokyo, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.

Son disque consacré à Poulenc, Stravinski et Milhaud pour Orchid Classics a reçu le «_Recital Selection of the month_» du Strad Magazine.

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La_MarcaokAdrien La Marca alto

Né en 1989, Adrien La Marca débute la musique à l’âge de six ans et est admis en 2005 au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe de Jean Sulem.

Prenant part à de nombreuses master classes, Adrien s’enrichit auprès de grands musiciens tels que Barbara Westphal, Antoine Tamestit, Tatiana Mazurenko, Péter Csaba, Miguel Da Silva, Lars Anders Tomter, Hatto Beyerle, David Geringas, Thomas Riebl, Ulf Ulsher, Serge Collot, Vladimir Mendelssohn.

Il passe en mai 2009 son prix du Conservatoire national supérieur de musique de Paris qu'il obtient avec mention très bien à l'unanimité.

Parallèlement, il participe à de prestigieux festivals tels le Merrick Festival à Miami en 2004, les Nuits pianistiques à Aix-en-Provence en 2006, Jeunes Talents à Paris, Musica à Strasbourg et la Grange Meslay à Tours en 2007, Musique sur Ciel à Cordes-sur-Ciel et l’Août musical de Deauville en 2008 et 2009, les festivals de Pâques de Deauville, de Saint-Côme et de Kuhmo (Finlande) et à la fondation Singer-Polignac en 2009.

Il est invité au cours de l'été_2008 à prendre part à l’International Music Academy – Switzerland de Seiji Ozawa où il travaille avec Robert Mann, Pamela Franck, Nobuko Imaï, Sadao Harada et Seiji Ozawa.

Durant la saison 2007-2008, Adrien est entré à l’académie de l’orchestre de Paris où il a pu jouer sous la direction de grands chefs tels que Valery Gergiev, Christoph Eschenbach, Jirí Belohlávek, ou encore Marin Alsop.

Il se produit en soliste dans la Symphonie concertante de Mozart avec l’orchestre lyrique d’Avignon et l’orchestre de chambre de l’académie de Cervo (Italie) sous la direction de David Geringas. Cette année, Adrien a joué aux côtés d'artistes de renom tels que David Grimal, François Salque, Lise Berthaud, Jérôme Pernoo, Ayako Tanaka_ou encore le quatuor Ebène.

En août 2009, il est lauréat du concours international Brahms en Autriche.

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laferriereVictor Julien-Laferrière violoncelle

Né à Paris en 1990, Victor Julien-Laferrière débute le violoncelle à l’âge de sept ans avec René Benedetti. Après deux années passées auprès de Philippe Muller, il entre à treize ans au Conservatoire national supérieur de musique de Paris dans la classe de Roland Pidoux où il obtient brillamment son diplôme en 2008.

Parallèlement, il prend part depuis 2005 à l’International Music Academy Switzerland de Seiji Ozawa (où il reçoit l’enseignement de Pamela Franck et Robert Mann), et profite lors de master classes des conseils de Frans Helmerson et Gary Hoffman. En 2008, il est l’élève de Jens-Peter Maintz à l’Universität der Kunste de Berlin, et depuis 2009 il se perfectionne à Vienne auprès de Heinrich Schiff. Il remporte en 2009 le 2e prix du concours international de Markneukirchen.

Victor Julien-Laferrière a déjà interprété avec orchestre les Variations Rococo de Tchaïkovski, le concerto en ut de Haydn ainsi que celui en si mineur de Dvorak. Il a été l’invité des festivals de Berne (festival Bach), Deauville (festival de Pâques et Août musical), Besançon, de la Grange de Meslay (les Musicales), Cordes-sur-Ciel, des Rencontres de violoncelle de Beauvais, de la fondation Singer-Polignac, des Sommets musicaux de Gstaad et du Kuhmo Chamber Music Festival en Finlande. Il a fait partie des ensembles en résidence du festival de La Roque-d’Anthéron, et a joué également avec Augustin Dumay, Vladimir Mendelssohn François Salque, David Grimal, Matthew Trusler, Lise Berthaud, Bertrand Chamayou, Jonas Vitaud. Nombre de ses concerts ont été captés par France musique ou Mezzo.

Victor Julien-Laferrière jouera en récital à l’Auditorium du Louvre durant la saison 2009-2010.

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