Musica Ficta
Paris, le jeudi 26 mars 2009
La chanson polyphonique de la renaissance est un genre spécifiquement français. Il prend sa source dans le motet du XIIIe siècle.
L’abandon de la teneur strictement liturgique avait donné naissance au répertoire des ballades, rondeaux et autres virelais que Guillaume de Machaut a portés au sommet du genre. Le mot « chanson » désigne encore au début du XVe siècle des pièces à refrain, d’allure populaire et d’écriture simple. Mais de plus en plus cette dénomination s’appliquera aux compositions profanes non destinés à la danse.
C’est dorénavant la structure et le contenu poétique qui imposent un esprit nouveau, plus clair et plus libre, celui de la grande chanson française.
La vogue de ces chansons, populaires ou savantes, sera vite spectaculaire. les pièces à la mode — qu’on appellerait aujourd’hui des « tubes » — se chantent dans toute l'Europe. Les représentations des mystères, les farces, les fêtes princières, les banquets, les défilés de carnavals sont entremêlés de chansons exécutées soit à voix seule, soit en polyphonie.
À la fois savantes et populaires, elles cachent si bien les artifices par les ressources d’un art supérieur que leurs thèmes sont fredonnés dans toutes les rues.
Si la frontière entre musique savante et populaire est allègrement franchie, c’est que cette frontière est alors incertaine et qu’aucun tabou ne s’opposait encore à ce que chacun traite la musique selon son plaisir.
Les « fricassées » nous conservent bon nombre de mélodies d’origines diverses : on appelait ainsi au XVIe siècle des plaisanteries musicales formées par la juxtaposition et la superposition de fragments mélodiques qu’il s’agissait de reconnaître au passage.
À partir de 1528 paraissent à paris de nombreux recueils de chansons à quatre parties. Jusqu’en 1552, plus de 50 volumes avec 1500 chansons d’un niveau très élevé paraitront de Janequin, Sermisy, Certon, Manchicourt, Gombert et Clemens non papa.
Avec Clément Janequin, la chanson polyphonique accomplit un bond prodigieux. 300 chansons dans une diversité de styles extraordinaire : imitations libres, division du chœur, repons en echos, onomatopées, changements de rythmes. le texte est traîté avec un raffinement jamais atteint, particulièrement dans ces grands tableaux musicaux qui ont fait sa gloire : la guerre — chanté à ce concert — le chant des oiseaux, la chasse, le caquet des femmes, les cris de paris, le siège de metz.
Chez Janequin, il n’y a aucune vulgarité descriptive , pas une onomatopée ridicule : après cinq siècles, les étonnants tableaux sonores n’ont pas vieilli et leur pouvoir de suggestion n’a rien à envier aux plus ambitieux poèmes symphoniques des siècles à venir. La guerre évoque la victoire de François 1er sur les troupes suisses à marignan. le succès en fut immense et durable, et l'œuvre connu de nombreux arrangements vocaux et instrumentaux.
Lors de l’ouverture de l’académie de musique et de poésie en 1571, Charles IX rappelle l’importance politique de la musique je le cite : « il importe grandement pour les mœurs des citoyens d’une ville que la musique usitée au pays soit retenue sous certaines lois, d’autant que la plupart des hommes se conforment et se comportent selon qu’elle est. » Si le roi protège l’académie, le parlement, lui, est bien décidé à combattre les dangers que cette musique ferait courir à la jeunesse. C’est ainsi que les œuvres jouées aux concerts hebdomadaires de l’académie en présence du roi seront interdites de copie et de diffusion et la plupart des chansons de Claude Lejeune ne seront publiées qu’après sa mort en 1600.
Cette musique « légère », volontiers irrévérencieuse et grivoise, sera bientôt reprise par des compositeurs de psaumes et de chansons dites spirituelles, tant son style paraissait conforme à l’idéal de simplicité prêché par la réforme puis par la contre-réforme.
De la naissance en 1485 de clément Janequin — on est sous Louis XI — à la mort d’eustache du Caurroy en 1609 — on est sous Henri IV — on festoie, on s’embroche, on guerroie, on fornique et on meurt tôt.
C’est aussi l’importante période où les couvents et l’université perdent leur exculisivité de diffuseurs culturels au profit des cours ducales et royales, réunissant en présence des souverains, des grands seigneurs et des dames de la cour : écrivains, érudits, architectes, peintres et musiciens. Ce seront eux dorénavant qui lanceront les modes et les goûts artistiques, dont l’Italie en raison de l’attrait exercé par sa civilisation a été l’inspiratice, via Catherine de medicis.
Mais à l’ivresse et à la drogue italienne, nos créateurs résistent et s’adaptent lucidement. ronsard « supplie humblement ceux que les muses ont inspirés de n’être pas les latiniseurs, ni les grecaniseurs et de prendre pitié, comme bons enfants, de leur pauvre mère naturelle . » et rabelais, lui, se voudra toujours plus réaliste qu’humaniste en préférant à plaute et à terence « le charme de la rue et celui de la canaille. »
Voici donc quelques uns de ces chefs-d’œuvre absolus dont la sincérité de ton et d’inspiration, le génie mélodique et rythmique, et le rapport entre musique et texte ne seront pas égalés avant Debussy, Ravel et Stravinski, qui les admiraient tant.
C’est dans le cadre de leur nouvelle résidence à la fondation que l’Ensemble Musica Ficta nous offre ce merveilleux programme. je les en remercie et vous souhaite un savoureux moment musical.
Cruaultez & Délices ou L’humanisme en fricassée
Éloges musicaux de la littérature du XVIe siècle, sur les Écrits du chevalier Bayard, une Lettre de François Ier, Gargantua de François Rabelais, les Écrits de Clément Marot et Les Amours de Pierre de Ronsard.
Du trio à l'orchestre et de la musique ancienne à la musique d'aujourd'hui, les formations instrumentales et vocales en résidence à la Fondation couvrent toutes les grandes périodes de l'histoire de la musique. Parmi celles-ci, Musica Ficta compte parmi les ensembles les plus talentueux et les plus prometteurs de la nouvelle génération.