Prince Edmond de Polignac

  • Lettre de Vincent d'Indy à Prince Edmond de Polignac n°72

    Luudi 24 oct 98

    (Au Prince Edmond de Polignac)

    Mon cher ami,

    Quel tuyaux Médéiques voulez-vous ? Il n’y en a guère - C’est simple, (peut-être trop simple !... et parfois j’ai quelque honte à vous l’avoir dédié...) et vous comprendrez tout de suite sans vous mettre les tenailles aux méninges.

    Cependant, si vous voulez des détails, puis-je vous dire qu’il y a deux thèmes se rapportant à Médée - l’un, plutôt enchanteur (elle l’était, enchanteresse) qui revient à la fin du 1er prélude et à la fin du 3ème acte (trop vite) pour caractériser sa magique montée sous le soleil, l’autre, plutôt sombre et très faux (cette femme étant la fausseté même), que le pauvre Guerra, chef d’orchestre de la Renaisssance, un élève à Mercadante !!! (saluez ! ) n’a point encore pu avaler, çà ne passe pas, il a tenu 1/4 d’heure l’orchestre sur le 1er accord hier, s’épuisant à chercher la faute...il n’y en avait pas - mais ces beaux italiens n’y sont plus, quand on les sort de la "tonante" et de la "dominique " (pardon...rectifiez vous-même ).

    Donc, et de deux, voilà pour Médée, (pour mémoire, son thème solaire est en fa et le thème sombre sans aucun ton).

    Quant à Jason, il fornique généralement dans les dièzes - tellement diézés que çà en arrive à être en b (ut # min = ré b majeur) - ce thème bêtement amoureux fait le sujet du prélude du 2ème acte qui ressemble à s’y méprendre à du Cavallerin rusticana, - passons.

    Le prélude du 3 est mieux, c’est l’attente de Médée sous les rayons de la lune, sa maman, le thème solaire (vous savez que le soleil, c’est son papa) se refroidit, se bleuit et s’allonge comme il convient à une ombre lunaire, un peu de fièvre d’amour au milieu, et terminaison calme et aussi lunaire que possible.

    Entre-temps, au 2ème acte, il y a eu une petite berceuse (de 16 mesures) pour les enfants, assez bien, qui revient au moment du crime où elle les berce dans la mort par des bons trombones PP. -Avant çà, 2 incantations ( ce qui je crois est le meilleur de la partition) l’une très douce à Phoebé avec le thème solo-lunaire, l’autre pleine d’épouvante (à Hécate) avec le thème de fureur (un que j’avais oublié de vous présenter et qui se meut déjà dans le 1er prélude).

    Je crois bien que c’est tout... ce qu’il y a de bien : le prélude du 3, les 2 incantations, et peut-être aussi le 1er prélude -voilà-

    Et Sarule hier me commande (en même temps qu’un gros rocher au décorateur) 64 mesures pour demain soir, orchestré, tout !... Vous voyez çà d’ici, moi qui mets parfois 8 jours à faire 16 mesures.

    Je me suis piqué d’honneur, et çà sera fait à l’heure, copié etc..- çà ne sera peut-être pas le plus mauvais illisible de la partition. La mise en scène est épatante comme mouvement, il n’ y a sur la scène qu’une trentaine de petites femmes toutes plus jolies les unes que les autres qui jouent toutes comme il faudrait que jouent nos 1ers rôles de l’Opéra. - C’est charmant - et puis, elles sont vraiment très gentilles, demandez à Bordes - il en bavait.

    Je vous aurai une place pour la première -Et si vous avez le temps de venir jeudi soir à la répétition générale, je pourrai vous voir aussi.

    A bientôt et pardon de cette lettre décousue écrite au café, tout en mettant des coups d’archet sur mes 64 mesures Bien à vous

    Vincent d’Indy

    Important :Je crois que c’est vous qui avez mes notes Wülhuesiennes(?) sur les Symphonies de Beethoven ; si vous ne les avez pas égarées, vous seriez bien gentil de me les renvoyer pour quelques jours, à cause de arcelone où je dirige la 4ème la 6ème et la 8ème - je vous les rendrai si vous y tenez.