Maurice Goudeket

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°91

    69, boulevard Suchet

    Auteuil 41-38 (sans date)

    Que pensez-vous de moi, mon cher réconfort ? Et pensez-vous quelque chose de moi ? Je ne suis pas sûre que vous soyez à Venise. Mais une chose est certaine : il faudra beaucoup d'heures pour que je vous raconte ma vie, et la tournée, et le comique désolant des Casinos, et la chaleur, et le ruisseau à écrevisses dans lequel j'ai dû me précipiter, le derrière en premier, pour éviter une insolation grave, sur une route blanche du Lot, par 40 degrés de chaleur. Et tant et tant d'histoires qui veulent, pour être écoutées et contées, un peu de bois, un divan et un verre de vin chaud !

    Tout m'arrive, pourtant je ne cherche rien. Le Maurice d'Anna, si j'ose écrire, est un chic garçon qui se bat, dans un complet silence, contre ses em...nuis personnels. Pour une fois, me voilà en bonne compagnie, je vous le dis parce que vous êtes bien capable de vous en inquiéter.

    La petite voiture est sans reproche ! Elle m'a menée à Deauville et à Dieppe (représentations) comme un zèbre. Le roman ? il avance.  Je ne m'occupe que de lui, je ne fais pas trois francs de journalisme. Aussi je viens de traverser une de ces petites crises financières... Elle est passée, chantons, chantons, sablons le gorgonzola à pleins verres, et que le veau froid pétille au fond des coupes ! Mais il ne faudrait tout de même pas vous imaginer que je vais vous laisser passer l'hiver à Venise ! Je trouve que je vous ai déjà laissé beaucoup de liberté depuis juillet. Allons-nous en à la Scala de Milan, qui vient d'adopter l'Enfant que me fit Ravel ! Voulez-vous ?

    Et puis je vais avoir besoin de vous pour Hélène Picard, qui ne va pas assez mieux. Voilà : je ne lui trouve pas d'éditeur pour son prochain volume de vers qui est beau, et s'intitule "Pour un mauvais garçon". Alors nous voulons, Carco, moi, Léo Marchand, Maurice Goudeket et Germain Patat, peut-être un ou deux autres, nous voulons faire imprimer son volume à nos frais, çà coûte, brochage compris, (dit Ferencsi) une douzaine de mille pour faire un tirage honorable, et si je vous l'écris, c'est que je sais que vous serez fâchée si nous le faisons sans vous. Donc, donnez-nous, s'il vous plaît, ma très chère Winnie, une petite part. Et demain soir, je dîne chez Louis Louis-Dreyfus, je vais le taper pour Hélène,- çà sera dur, mais il ne connaît pas, - pas encore ! - ma vénalité.

    Je m'ennuie de vous, prenez-en votre parti. C'est long, plusieurs mois sans vous voir pour quelqu'un qui vous a, depuis peu, retrouvée.

    Du 6 au 16 octobre, je vais à Bruxelles pour jouer, parbleu, Chéri. Ce n'est pas votre chemin pour revenir ? Je vous embrasse.

    Anna de Noailles a employé tout septembre à taper sur le ventre de Painlevé, qui passe pour très amoureux d'elle. Je vous embrasse. Il fait juste le temps immobile, faiblement doré, traversé de guêpes et de fil de la Vierge, juste le temps qui désole les gens de Paris. Je vous embrasse. Et je suis votre Colette.

  • Lettre de Colette à la Princesse de Polignac n°94

    Winnie chère, croyez-moi, Beauvallon n'est pas possible ! J'ai à Seawood Lodge (à 500 mètres de chez moi, villa isolée, propriétaire charmant, table excellente, c'est tout nouveau, jardins, fleurs, bord de mer très élevé) une chambre qui ne peut pas ne pas vous plaire ! Je reviens, je vais conduire Maurice Goudeket à un train inéluctable de 6h à St Raphaël, le povre ! Mais ne restez pas à Beauvallon, vous prendriez tout le pays en grippe ! A tout à l'heure, dînons ensemble, ou chez moi (frugalité) ou à Seawood (bon dîner et vin un peu là !) Naturellement, votre dépêche m'a été remise ce matin à 8 heures. Je vous dirai qui j'ai fait déménager pour vous, à Seawood. Votre Colette.