Jacques Lusseyran (1924-1971) entre cécité et lumière. Regards croisés
Introduction
Jacques Lusseyran (1924-1971), écrivain et essayiste aveugle, mais aussi figure méconnue de la Résistance intérieure française durant la Seconde Guerre mondiale, dont la vie et l’œuvre sont restées longtemps ignorées dans son propre pays – alors qu'il poursuivit une carrière de professeur de littérature dans plusieurs grandes universités américaines – suscite un intérêt grandissant dans la recherche française et internationale, tandis que l’ouvrage de Jérôme Garcin : Le Voyant, publié en janvier 2015 par les éditions Gallimard, l’a fait connaître d’un très large public.
Ce colloque pluridisciplinaire proposera une vaste exploration de la vision intérieure paradoxale de cet auteur aveugle qui, ayant perdu la vue lors d’une bousculade à l’école à l’âge de huit ans, construit sa vie et son œuvre autour de la lumière et des couleurs dont il affirme garder la perception et qu’il magnifie par l’écriture. Les différentes approches historique, littéraire, philosophique (avec entre autres la question de l’anthroposophie), mais également scientifique (neuro-ophtalmologie), permettront de rappeler la place que Jacques Lusseyran occupa au sein de la Résistance intérieure française et l’attitude qu’il adopta face à la réalité tragique des camps de concentration, avant d’interroger les catégories essentielles de son écriture, telles que la synesthésie, qui concourt de manière exemplaire à l’élaboration d’un monde intérieur poétique et empreint d’une richesse contrastant avec les représentations classiques de l’absence de vue comme privation et déficience. Afin de mieux en saisir l’essence et la portée, ce colloque s’attachera à situer le discours et l’écriture de la cécité de Jacques Lusseyran parmi d’autres discours d’auteurs aveugles, parmi lesquels des écrivains contemporains, qui apporteront leur point de vue critique.
Ce colloque est organisé sous forme d’un partenariat avec le Centre de Recherche en Littérature Comparée de l’université Paris-Sorbonne, dirigée par Mme la Professeure Véronique Gély et avec le soutien de l'UMR l'IHRIM (Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités), dirigé par M. le Professeur Olivier Bara et du Labex Comod (Constitution de la modernité), dirigé par M. le Professeur Pierre-François Moreau, du GIAA (Groupement des intellectuels Aveugles et Amblyopes) et de l'Institut de la Vision.
Programme
9 h 30 - Accueil et inscription des participants
10 h - Allocutions d’accueil
- Pierre Brunel, université Paris-Sorbonne, Académie des Sciences morales et politiques
- Véronique Gély, Professeur des universités, directrice du Centre de Recherche en Littérature Comparée, université Paris-Sorbonne
- Pierre-François Moreau, Professeur des Universités, ENS de Lyon, directeur du Labex Comod (Constitution de la modernité)
10 h 30 - Introduction par Zina Weygand
10 h 45 - 11 h - Pause
Session 1 : Jacques Lusseyran, un homme libre
Président de séance : Bruno Leroux, Directeur historique de la Fondation nationale de la Résistance
- Les Volontaires de la Liberté : un exemple de résistance civile par Jacques Semelin, Historien et politiste, Directeur de recherche au CNRS (CERI-Sciences Po), et professeur à l’Institut d’Études Politiques de Paris. Président et fondateur de l’encyclopédie en ligne des violences de masse (massviolence.org)
- Jacques Lusseyran en déportation : entre histoire et mémoire par Olivier Lalieu, Historien, Président de l’Association française Buchenwald, Dora et kommandos
- Jacques Lusseyran entre la France et l’Amérique par Rebecca P. Scales, Associate Professor of History, Rochester Institute of Technology (U.S.A.)
12 h - Discussion
13 h - 14 h - Buffet-Déjeuner
Session 2 : Cécité et écritures de soi
Présidente de séance : Véronique Gély, Professeure de littérature générale et comparée, Directrice du Centre de Recherche en Littérature Comparée, université Paris-Sorbonne
- Écriture et réécritures de soi : de l’aveugle voyant à la voix poétique par Céline Roussel, Doctorante, Centre de Recherche en Littérature Comparée, université Paris-Sorbonne
- Jacques Lusseyran à travers son œuvre : écriture de la cécité ou icône d’aveugle ? par Romain Villet, écrivain
- A chacun sa cécité, à chacun sa vérité par Jacques Semelin, Historien et politiste, Directeur de recherche au CNRS (CERI-Sciences Po), et professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Président et fondateur de l’encyclopédie en ligne des violences de masse (massviolence.org)
15 h - Discussion
15 h 30 - 15 h 45 - Pause
Session 3 : La « vision intérieure » de Jacques Lusseyran, entre philosophie, mystique et neurosciences
Président de séance : Pierre Ancet, Maître de conférences en philosophie, Vice-président de l’université de Bourgogne, chercheur au Centre Georges Chevrier, Directeur de l’université pour tous de Bourgogne (UTB)
- La « vision intérieure » de Lusseyran : concept inouï ou illusion des sens ? par Marion Chottin, chargée de recherche au CNRS, Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités, (IHRIM, UMR 5317)
- Le toucher de la lumière. La vue intérieure de Lusseyran entre phénoménologie et mystique par Piet Devos, Post-doctorant à l’université Concordia, Centre for Sensory Studies, Montréal
- Lumières de Lusseyran. La perception visuelle du monde et ses mécanismes cérébraux par Avinoam B. Safran, Professeur associé Sorbonne-UPMC/Institut de la Vision, Professeur émérite de l’université de Genève
16 h 45 - Discussion
- Remerciements et témoignage par Pascal Lusseyran
- Synthèse et Conclusions par Henri-Jacques Stiker, Directeur de recherche au Laboratoire Identités, Cultures, Territoires, université Paris Diderot-Paris 7 et Hannah Thompson, Reader in French, Royal Holloway, University of Londo
18 h - Clôture du colloque
Résumés de communications
Allocutions
par Pierre Brunel, Véronique Gély & Marion Chottin
Introduction
par Zina Weygand
Les Volontaires de la Liberté : un exemple de résistance civile
par Jacques Semelin
Durant l’occupation allemande en France, l’engagement résistant de Jacques Lusseyran s’est d’abord concrétisé au sein d’un groupe de jeunes, les Volontaires de la Liberté, dont il est le principal initiateur en 1941. Par la suite, il rejoindra le comité directeur d’un mouvement plus important, Défense de la France, dont L’histoire est maintenant bien connue (en particulier depuis la thèse que lui a consacrée Olivier Wieviorka). En revanche, celle des Volontaires de la Liberté l’est beaucoup moins. Cette communication s’attachera donc à préciser les circonstances de sa formation, impulsée par un élève ayant perdu la vue (depuis l’âge de 8 ans) avec la participation active d’autres lycéens de Louis le Grand et d’Henri IV. Elle s’appuiera sur les mémoires de Lusseyran lui-même (rédigées une dizaine d’années plus tard) et sur les travaux les plus récents des historiens consacrés à ces premiers temps de la Résistance à Paris.
Jacques Lusseyran en déportation : entre histoire et mémoire
par Olivier Lalieu
A l’aide des écrits de Jacques Lusseyran, d’archives et de témoignages de ses camarades de camp, cette communication évoquera le parcours du jeune résistant depuis son court internement à Compiègne en janvier 1944 jusqu’à sa déportation en Allemagne au K.L. Buchenwald le 20 janvier 1944. Après la période de quarantaine, Jacques Lusseyran est affecté au bloc 57, dit des invalides. Grâce à ses connaissances linguistiques, il devient interprète. Sa personnalité, sa culture, sa jeunesse comme sa cécité marquent profondément les détenus. C’est sur cette empreinte comme celle laissée dans l’œuvre de Jacques Lusseyran par Buchenwald que nous reviendrons. Jacques Lusseyran demeure à Buchenwald jusqu’au 11 avril 1945, quand le camp est libéré par l’armée américaine.
Jacques Lusseyran entre la France et l’Amérique
par Rebecca P. Scales
Empêché de faire carrière dans l’enseignement public à cause d'une loi discriminatoire du régime de Vichy toujours en vigueur après la Libération, Jacques Lusseyran a quitté la France en 1958 pour enseigner la langue et la littérature françaises aux Etats-Unis. Quelques jeunes américaines, très impressionnées par le professeur dynamique qui animait leurs cours de civilisation française à la Sorbonne, ont proposé aux responsables de leur petit collège en Virginie de l'inviter à enseigner sur leur campus. A l’époque, les Américains se passionnaient pour la culture française, cherchant à maitriser la langue et la cuisine de «l’Ancien monde» pour se montrer cultivés. Pour beaucoup de Français, qui ont vécu les privations de la guerre et de l’occupation, l’Amérique était un «Nouveau monde» d’abondance, de simplicité et de liberté, mais aussi d’excès et de superficialité. Cette intervention propose une analyse des textes de Lusseyran écrits pendant son séjour aux Etats-Unis dans le contexte des échanges culturels et politiques franco-américains de la guerre froide. Comment Lusseyran a-t-il navigué entre ces «deux mondes» très différents? Comment ses expériences aux Etats-Unis ont-elles changé sa manière de voir son propre pays et sa propre culture?
Écriture et réécritures de soi : de l’aveugle voyant à la voix poétique
par Céline Roussel
Cette communication visera à étudier les relations entre vision intérieure et voix créatrice dans l’œuvre autobiographique de Jacques Lusseyran. Parmi les différents discours portés par les écrivains aveugles sur leur cécité, et dont nous rappellerons à l’occasion quelques exemples, l’œuvre de Jacques Lusseyran se distingue par son net rattachement à la représentation de l’aveugle « voyant » issue de la tradition antique, dont nous analyserons certaines occurrences thématiques et formelles. Notre exposé se fondera sur une confrontation des deux textes Et la lumière fut et Le Monde commence aujourd'hui, ainsi que sur une analyse du processus de recomposition du portrait que l’auteur dresse de lui-même, à travers l’entière réécriture, en 1960 et 1961, de Et la lumière fut, dont la première version date de 1952. La spécificité du discours de Jacques Lusseyran nous semble en effet résider en une pose littéraire qui l'amène à construire une image de lui-même comme poète visionnaire, qui s'incarne à plusieurs reprises en une voix inspirée. Celle-ci fait naître une écriture de la lumière et de l'énergie que nous qualifierons de ‘synergétique’, et qui illustre les conséquences que cette vision aveugle paradoxale peut avoir sur le processus de création littéraire.
Jacques Lusseyran à travers son oeuvre : écriture de la cécité ou icône d'aveugle ?
par Romain Villet
Et la lumière fut ! C’est sous ce titre pour le moins paradoxal qu’a paru l’autobiographie dans laquelle Jacques Lusseyran raconte sa propre cécité. Avec ce titre tiré de la Bible, l’auteur laisse penser que le plus célèbre de ses livres traite non seulement de l’expérience de la cécité mais aussi de l’expérience de la foi. L’aveugle dont parle Lusseyran voit la lumière divine.
Or, dans son livre Le monde des aveugles, Pierre Villey tient rigueur à Diderot d’avoir bâti « de toute pièce la métaphysique de l’aveugle ». Selon lui, l’auteur de La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient « estimait que l’aveugle avait une métaphysique différente des autres hommes, une morale aussi qui lui était propre. »
Dans cette intervention, nous nous appuierons sur l’œuvre littéraire de Lusseyran afin de voir dans quelle mesure elle peut ou non encourir le même reproche. Dans quelle mesure ses écrits gomment-ils (plus ou moins délibérément) la différence entre la cécité réelle et la cécité symbolique ?
Les aveugles sont nombreux dans la Bible, ils sont nombreux sur les trottoirs. Qu’ont-ils en commun ? Les livres de Lusseyran aident-ils à les distinguer les uns des autres ou inviteraient-ils plutôt à les confondre?
A chacun sa cécité, à chacun sa vérité
par Jacques Semelin
Perdre la vue, c’est entrer dans un autre univers : on est là et, en même temps, on est « ailleurs ». Du jour au lendemain, on risque de s’y trouver catapulté par la brutalité de l’accident. Ce peut être encore au terme d’un lent et long processus vers l’inexorable. Quel que soit l’accès à ces territoires angoissants, rien ne sera plus jamais comme avant pour qui doit y demeurer. Heureusement qu’il est possible de communiquer avec les voyants de l’ancien monde.
Mais comment témoigner d’une telle transformation de soi ? Comment trouver les mots justes pour décrire l’univers de cet « ailleurs » ? En général, les voyants croient que les aveugles sont dans la nuit. C’est là un pur cliché. Jacques Lusseyran n’a pas son pareil pour affirmer qu’il voit toujours, qu’il continue à voir la lumière. Ce thème traverse toute son œuvre. On comprend qu’il se réfère à une lumière intérieure, une source d’énergie vitale qui a fait de lui un battant. Et rien dans ses écrits ne laisse, en effet, transparaître le ton de la plainte.
Toutefois, cette référence constante à la lumière n’est pas chez lui qu’une rhétorique symbolique. En certaines circonstances, il soutient continuer à voir, au sens physique de la perception visuelle. A preuve, les descriptions des paysages qu’il fait auprès d’un visiteur avec qui il se promène dans la nature. Plusieurs témoins en ont attesté. Qu’en dirait l’ophtalmologue ? La personnalité de Lusseyran symbolise les plus nobles représentations littéraires de l’aveugle comme voyant, que ce soit chez Marguerite Yourcenar méditant sur la figure de Borges ou Jérôme Garcin sur Lusseyran lui-même.
Pour moi qui ai aussi perdu la vue, cette « cécité voyante » de Lusseyran me plonge dans la sidération et la perplexité. Je me reconnais, certes, dans certaines de ses impressions, mais pas dans toutes. Ainsi, ne puis-je prétendre percevoir la lumière et les paysages. Il m’est possible de les imaginer et je me souviens très bien des couleurs. Mais je ne les vois malheureusement plus. Pour faire comprendre ma condition, la métaphore du brouillard me vient à l’esprit. En perdant peu à peu la vue, je me suis de plus en plus enfoncé dans le gris. Aujourd’hui, c’est comme si j’étais encapsulé dans cette grisaille. Et dans la cellule de ce brouillard permanent, il n’y a même pas de lucarne à travers laquelle je pourrais encore savoir la couleur du ciel. Plutôt que d’affirmer que je vois la lumière, je dirais donc que je la cherche. Car je veux toujours croire au soleil.
Ainsi vais-je recourir à d’autres métaphores que Jacques Lusseyran pour parler de ma propre cécité. Entre imaginaire et réel, je cherche à inventer, comme il a pu le faire lui-même, un langage particulier pour témoigner de cet « ailleurs » de la non-vue. D’autres aveugles utiliseront encore des mots différents. La parole de Lusseyran voyant est une invitation à croiser les discours des aveugles. Borges écrivait qu’il ne considérait pas la cécité comme une catastrophe absolue. Ne plus voir permet d’avoir un autre point de vue sur le monde, en fait, de le voir autrement. Et qui est devenu aveugle, dispose d’une source particulière de créativité artistique et littéraire. A chacun sa cécité, à chacun sa vérité.
La « vision intérieure » de Lusseyran : concept inouï ou illusion des sens ?
par Marion Chottin
Plutôt que de déterminer les sources philosophiques de la « vision intérieure » de Jacques Lusseyran, ou encore de considérer son œuvre comme une littérature susceptible d’illustrer, voire de prouver la validité de telle ou telle théorie philosophique de la perception, il s’agira de concevoir certains des textes de l’écrivain aveugle comme d’authentiques morceaux de philosophie. Après avoir indiqué à quelles conditions une telle conception est possible, c’est-à-dire, notamment, en quoi l’expérience que fait Lusseyran de la vision est proprement irrécusable, et peut être envisagée comme un lieu de vérités par une philosophie empiriste, nous commenterons ces textes afin de (re)construire le concept de vision qu’ils contiennent –vision que Lusseyran, paradoxalement, associe à la cécité. Nous répondrons pour finir à la question suivante : dans quelles mesures ce concept de « vision intérieure » instruit-il la pensée de la cécité et, plus généralement, du handicap ?
Le toucher de la lumière
La vue intérieure de Lusseyran entre phénoménologie et mystique
par Piet Devos
En décrivant la nature de la perception sensorielle, Jacques Lusseyran affirme que « Tous [les] sens […] sont les accidents successifs d’une perception unique, et cette perception est toujours celle d’un contact. »1 De prime abord, il semble difficile de réconcilier la notion d’un tel contact ou « toucher fondamental »2 avec l’expérience d’une vue intérieure que Lusseyran a si souvent décrite comme la plus déterminante de sa vie. Cependant, cette réconciliation est bien possible, si nous réalisons que, pour Lusseyran, la lumière constitue non seulement une expérience directe et synesthésique intensément vécue, mais aussi un élément « qui embrasse l’existence entière »3 révélant ainsi un ordre ontologique basé sur la réciprocité. Dans un tel ordre, le ‘moi’ et le monde se touchent ; le sujet et l’objet se rencontrent s’ouvrant l’un à l’autre. Comme je tenterai de le démontrer, Lusseyran a développé cette conception complexe de la lumière en combinant une analyse phénoménologique de sa propre conscience avec des théories empruntées à des maîtres spirituels comme Rudolf Steiner et Georges Saint-Bonnet. Une telle contextualisation historique de la vision lusseyrienne entre la philosophie et un ‘mysticisme’ moderne, me permettra également de réfléchir sur l’autorité du penseur aveugle aux marges de la connaissance dans une société visualiste.
1- Jacques Lusseyran. La lumière dans les ténèbres. Paris: Triades, 2002. P. 22
2- Ibid. p. 23
3- Ibid. p. 15
Lumières de Lusseyran. La perception visuelle du monde et ses mécanismes cérébraux
par Avinoam B. Safran
Jacques Lusseyran nous a livré une description exceptionnelle des phénomènes visuels qui, dans les profondeurs de sa cécité, lui paraissaient surgir d’un monde intérieur. Induits par certains stimuli dans des contextes spécifiques, ces percepts s’imposaient à lui sans qu’il ne puisse s’en soustraire, et le baignaient de lumières, de couleurs aux tonalités intensément émotionnelles, aux configurations pour lui évocatrices. Ils ont contribué à façonner sa perception du monde, et probablement conforté son engagement dans le cours de l’histoire.
Lusseyran a écarté l’idée d’une approche neuroscientifique à ces phénomènes, même si ces derniers revêtent un caractère indéniablement synesthésique. Les synesthésies expriment une régulation inhabituelle des traitements cérébraux intermodaux. Elles sont d'étiologies constitutionnelles ou acquises, par exemple à la suite d’une déprivation visuelle, et parfois d’origines multiples. Les composantes éventuellement constitutionnelles et acquises des synesthésies observées par Lusseyran méritent d’être analysées.
Au-delà de ce qu’ils nous apprennent sur cette personnalité hors du commun, ces phénomènes nous ouvrent une fenêtre sur les mécanismes qui régissent notre perception du monde. L’intégration du traitement multi-sensoriel de l’information aux processus cognitifs et affectifs, sous-tend notre représentation de l’environnement, où réel et illusoire s’entremêlent indistinctement. Ces toute dernières années, le développement de l’imagerie fonctionnelle cérébrale a contribué d’une manière déterminante à en éclairer les mécanismes.
Ref : Safran AB, Sanda N : Color synesthesia. Insight into perception, emotion and consciousness. Curr. Opin. Neurol. 2015; 28: 36-44.
Remerciements et témoignage
par Pascal Lusseyran
Synthèse et conclusion
par Henri-Jacques Stiker et Hannah Thompson
Biographies
Pierre Brunel
Pierre Brunel est professeur émérite et a accompli toute sa carrière à la Sorbonne où il a occupé de 1970 à 2008 une chaire de littérature comparée. Membre de l'Institut Universitaire de France avec deux mandats successifs (1995-2005), il a été élu en mars 2015 à l'Académie des Sciences morales et politiques, où il succède à Gérald Antoine dans la section "Morale et Sociologie". Après ses thèses de doctorat d'Etat sur Claudel, soutenues en mars 1970, il a publié de nombreux travaux, non seulement sur cet auteur, mais aussi sur Rimbaud, Baudelaire, et plus généralement sur la littérature française et les littératures étrangères du XIXe et du XXe siècles. Il a fondé en 1981 le Centre de recherche en littérature comparée et y a développé des travaux collectifs en particulier sur les mythes littéraires. Concevant la littérature comparée comme un humanisme, au sens le plus large du terme, il est préoccupé par les grands problèmes humains, dont le handicap et le cas des aveugles.
Véronique Gély
Véronique Gély est agrégée de lettres (classiques), ancienne élève de l’ENS, Professeur de littérature générale et comparée à l’Université de Paris-Sorbonne, Directrice du Centre de Recherche en Littérature Comparée (EA 4510), membre du directoire du LABEX « Observatoire de la vie littéraire » (OBVIL). Ses recherches portent sur les relations entre littérature et sciences humaines, en particulier sur l’histoire de la notion de mythe, sur l’enfance, et sur les réceptions de l’Antiquité classique dans les littératures modernes et contemporaines. Elle a dirigé plusieurs ouvrages collectifs, et est l’auteur notamment de
- La Nostalgie du moi. Écho dans la littérature européenne, Paris, PUF « Littératures européennes », 2000, primé par l’Académie Française (prix Ève Delacroix, médaille d’argent).
- L’Invention d’un mythe : Psyché. Allégorie et fiction, du siècle de Platon au temps de la Fontaine, Champion, collection » Lumières classiques », 2006.
Pierre-François Moreau
Pierre-François Moreau enseigne l’histoire de la philosophie à l’École Normale Supérieure de Lyon.
Il est directeur du Labex COMOD (Constitution de la Modernité). Il dirige la nouvelle édition des Œuvres complètes de Spinoza. Il est responsable de la collection « philosophies » (PUF) et de la série « Textes de philosophie » (Classiques Garnier).
Publications : Spinoza. L'expérience et l'éternité, PUF, 1994 ; Lucrèce. L'Ame, PUF, 2002 ; Spinoza et le spinozisme, coll. "Que sais-je ?", PUF, 2003; (en collaboration avec Raphaële Andrault et Mogens Laerke) Leibniz et Spinoza, PUPS, 2014.
Zina Weygand
Zina Weygand, docteur en Histoire de l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne (1998), habilitée à diriger des recherches en Histoire (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2007) est chercheur honoraire au Conservatoire national des arts et métiers.
Elle poursuit depuis de nombreuses années des recherches sur l’histoire de la cécité et des aveugles, dans la mouvance d’Alain Corbin et des historiens français héritiers de l’Ecole des Annales, qui lui ont valu en 1989 le prix de la Société Francophone d’Histoire de l’Ophtalmologie et en 2000 le premier prix ex-aequo de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux.
Principales Publications :
- Les causes de la cécité et les soins oculaires en France au début du 19e siècle (1800-1815) (C.T.N.E.R.H.I., 1989).
- Vivre sans voir. Les aveugles dans la société française du Moyen Âge au siècle de Louis Braille, avec une préface d’Alain Corbin (Créaphis 2003/en poche 2013. Ouvrage traduit en anglo-américain par Emily-Jane Cohen (SUP, août 2009) et en japonais par Yukiko Kano (Fujiwara Shoten, avril 2013).
- En collaboration avec la Pr Catherine J. Kudlick : Reflections. The life and writings of a young blind woman in Post-revolutionary France. Thérèse-Adèle Husson, avec une préface de Bonnie Smith (NYUP, 2001). En français : Thérèse-Adèle Husson. Une jeune aveugle dans la France du 19e siècle (Erès, 2004).
- En collaboration avec Bruno Ronfard, édition critique des souvenirs de Suzanne Taha Hussein : Avec toi. De la France à l’Egypte : « Un extraordinaire amour » Suzanne et Taha Hussein, (Les éditions du Cerf, 2011). Traduction en arabe par Badr-Eddine Arodaky (Fondation Hindawi juillet/octobre 2015).
- Zina Weygand a également collaboré à une douzaine d’ouvrages collectifs et publié de nombreux articles ; elle intervient régulièrement dans des colloques, en France et à l’étranger. Récemment elle a donné une conférence plénière au colloque international Blind Creations (Royal Holloway, University of London, juin 2015) : « Jacques Lusseyran and some other blind heroes of the French Resistance ».
- Du 26 au 30 juin 2013, avec le mécénat de la Fondation Singer-Polignac et en collaboration avec le CHSPM de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, la Fédération des aveugles et handicapés visuels de France, l’Institut national des jeunes aveugles et le Groupement des Intellectuels Aveugles et Amblyopes, elle a organisé à Paris le colloque international « Histoire de la cécité et des aveugles. Représentations, institutions, archives. Une perspective internationale ». Ce colloque a permis la création d’un réseau international de chercheurs dans le domaine des « Cultural Blindness Studies », qui s’est développé depuis.
Bruno Leroux
Bruno Leroux est directeur historique de la Fondation de la Résistance. Après avoir été chargé des études et recherches puis secrétaire général-adjoint de l’Institut Charles de Gaulle, il a coordonné l’édition du CD-Rom La Résistance, une épopée de la Liberté (Montparnasse Multimedia/AERI, 1997) avant d’entrer à la Fondation de la Résistance. Il a, avec Christine Levisse-Touzé, assisté François Marcot à la direction du Dictionnaire historique de la Résistance (Laffont, 2006) et publié des articles dans les colloques Faire l’histoire de la Résistance (Laurent Douzou, dir.), Ecrire sous l’occupation (Bruno Curatolo et François Marcot, dir.), Les Français libres et le Monde (Sylvain Cornil-Frerrot et Philippe Oulmont, dir.). Auteur de Traces de Résistance, ouvrage hors commerce édité par la Fondation de la Résistance en 2011.
Jacques Semelin
Jacques Semelin est historien et politologue, directeur de Recherche au CNRS et professeur à Sciences Po. Il a fait ses études à la Sorbonne (Paris IV et Paris V) et a été Postdoctoral Fellow à Harvard.
Ses travaux portent sur une question transversale : comment des individus «ordinaires» peuvent avoir des conduites « extraordinaires », que ce soit en résistant à mains nues ou en basculant dans la barbarie.
Parmi ses publications : Sans armes face à Hitler et Purifier et détruire.
Par ailleurs, Jacques Semelin a progressivement perdu la vue. Il a raconté ce « voyage » vers la cécité dans J’arrive où je suis étranger (Seuil, 2007) puis dans Je veux croire au soleil (à paraître au printemps 2016 aux Arènes), récit dans lequel il tente de décrire le monde au moyen de ses autres sens, à l’occasion d’un séjour à l’Université de Montréal.
Olivier Lalieu
Olivier Lalieu est né en 1972. Historien, il est responsable de l'aménagement des lieux de mémoire et des projets externes du Mémorial de la Shoah, après avoir été chargé de mission au ministère de la Défense. Par ailleurs, il préside depuis 2015 l'association française Buchenwald-Dora et kommandos. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont La Résistance française à Buchenwald (Tallandier, 2012) et Histoire de la mémoire de la Shoah (Soteca, 2015).
Rebecca P.Scales
Rebecca Scales est Associate Professor of History au Rochester Institute of Technology, Rochester, New York, Etats-Unis. Spécialiste de l’histoire culturelle de la France au vingtième siècle, elle s’intéresse depuis longtemps à l’histoire des sens, de la cécité, et du handicap. Elle est l’auteur de Radio and the Politics of Sound in Interwar France (Cambridge University Press, 2016), une nouvelle histoire culturelle de la radio française de l’entre-deux-guerres. Elle a publié plusieurs articles sur l’histoire de la radio et du son dans les revues French Historical Studies, Comparative Studies in Society and History, et Media History.
Céline Roussel
Céline Roussel est doctorante en Littérature Comparée à Paris-Sorbonne, au sein du Centre de Recherche en Littérature Comparée (EA 4510). Ancienne élève de l’ENS, elle prépare une thèse sur les écrits autobiographiques d’auteurs aveugles du XIXe au XXIe siècle, sous la direction de Mme Véronique Gély. Elle a publié « Quand l’aveugle prend sa plume : dialectiques d’une écriture aveugle de soi » (Revue de Littérature Comparée, 2015/1) et a récemment co-organisé le colloque international « Discours et représentations du handicap : l’apport des Disability Studies en Sciences Humaines » à Paris-Sorbonne.
Romain Villet
Romain Villet, né à Paris le 4 janvier 1979, perd la vue à l’âge de quatre ans et fait toute sa scolarité en braille parmi les voyants.
Diplômé de Sciences Po en 2003 où il étudie principalement la philosophie politique, il se consacre presque exclusivement à la musique pendant les années suivantes. Pianiste, il se produit à Paris et en France au sein d’un trio de jazz dont il est le leader.
En 2008, il bénéficie de la bourse Julien Prunet qui permet à des « profils atypiques » d'intégrer le Centre de Formation des Journalistes. Il choisit de se spécialiser dans la radio dont il est fervent auditeur. En 2009 et 2010, il collabore à diverses émissions de France culture et réalise deux documentaires de 52 minutes diffusés sur cette chaîne. Le premier, « Victor et moi », rend compte de l’incidence de la révolution numérique sur l’accès des aveugles à la lecture. Le second, « Accords perdus, à corps chantant », s’intéresse à la manière dont les musiciens, mi-poètes mi-sportifs, entretiennent et sollicitent leur corps.
En février 2014, son premier roman intitulé Look paraît chez Gallimard dans la collection blanche.
En poursuivant son activité de musicien dans diverses formations, il travaille actuellement à la rédaction de son deuxième livre.
Pierre Ancet
Pierre Ancet est Maître de conférences en philosophie à l'Université de Bourgogne depuis 2006, chercheur au centre Georges Chevrier, UMR CNRS 7366, directeur de l'Université pour Tous de Bourgogne (UTB) depuis 2007 et Vice-Président délégué aux Politiques Culturelles depuis 2012. Ses travaux portent sur la philosophie du handicap, la bioéthique, le vécu du corps et le vécu du temps.
Marion Chottin
Marion Chottin est chargée de recherche au CNRS (IHRIM). Spécialiste des théories de la perception de la modernité et de la cécité dans l’histoire de la philosophie, elle a soutenu une thèse en 2010 à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dont la version remaniée est parue en 2014 aux éditions Honoré Champion sous le titre : Le partage de l’empirisme. Une histoire du problème de Molyneux aux XVIIe et XVIIIe siècles. La même année, elle a mis en œuvre un numéro de Corpus, revue de philosophie, intitulé « Éléments pour une contre-histoire de la cécité et des aveugles ».
Piet Devos
Piet Devos (né en 1983 à Courtrai en Belgique) est docteur en philologie romane de l'université de Groningen (Pays-Bas), spécialiste de la littérature du XXe siècle. Lui-même devenu aveugle à l’âge de cinq ans, il s’intéresse surtout à l'histoire de la perception. Dans sa thèse doctorale, El cuerpo elocuente. Percepción visual y háptica en la poesía de Huidobro y Péret (Almenara Press, 2016), il a proposé une méthodologie historico-culturelle pour analyser les différents niveaux sensoriels dans les textes littéraires.
Il est actuellement chercheur postdoctoral au Centre for Sensory Studies de Concordia University à Montréal, où il prépare un nouveau livre concernant l’esthétique d’auteurs ayant des déficiences (entre autres, Jacques Lusseyran et Joe Bousquet). Devos est aussi écrivain et traducteur de textes de l’avant-garde française et sud-américaine.
Site personnel: www.pietdevos.be
Avinoam B. Safran
Professeur associé Sorbonne-UPMC/Institut de la Vision
Professeur émérite de l’université de Genève
Le professeur Safran est médecin, spécialisé en neurosciences visuelles cliniques.
Après une formation médicale et ophtalmologique à l’Université de Genève, puis de neuro-ophtalmologie à Miami et San Francisco, il est nommé à Genève professeur associé de neuro-ophtalmologie, puis professeur ordinaire, titulaire de la chaire d’ophtalmologie et directeur du Service universitaire d’ophtalmologie. Devenu émérite de l’Université de Genève en 2010, il est nommé professeur associé à Sorbonne Universités-UPMC. Il est affilié à l’Institut de la Vision et exerce dans le service du professeur José-Alain Sahel au Centre National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts.
Ses recherches récentes portent plus particulièrement sur les troubles du traitement cérébral de la fonction visuelle, et la réorganisation du système nerveux dans la cécité. Il a également conduit des recherches visant au développement et à l’implantation chirurgicale de rétines artificielles, en proche collaboration avec le professeur José-Alain Sahel.
Il est auteur de quelques 200 articles scientifiques, et a dirigé la publication de plusieurs ouvrages de neuro-ophtalmologie clinique. Il assura la présidence de l’International Neuro-Ophthalmology Society en 2003 et 2004, et la vice-présidence de la European Society for Vision and Eye Research en 2005.
Henri-Jacques Stiker
Directeur de recherches (Anthropologie historique de l'infirmité) au laboratoire "Identités, cultures, territoires", Université Paris Diderot, Paris VII, (Invité dans le cadre des conférences complémentaires, durant trois années (1996-1999) à École des Hautes Études en Sciences Sociales). Rédacteur en chef de la revue ALTER, European Journal of Disability Research, Revue européenne de recherche sur le handicap (Publiée par Elsevier-Masson)
- Corps infirmes et sociétés, Essais d’anthropologie historique, Aubier 1982, Dunod, 1997, 2005, 2013
- Les métamorphoses du handicap, de 1970 à nos jours, Soi-même, avec les autres, Grenoble, PUG, 2009.
- Les fables peintes du corps abîmé, Les images de l’infirmité du XVIè au XXè siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2006.
- Handicap et accompagnement, nouvelles attentes, nouvelles pratiques, avec José Puig et Olivier Huet, Paris, Dunod, 2009
Hannah Thompson
Dr Hannah Thompson est maitre de conférences à Royal Holloway, université de Londres, Royaume-Uni. Elle y enseigne la littérature et la langue française et se spécialise dans le roman français de Balzac à nos jours. Elle a publié une vingtaine d’articles et deux livres : Naturalism Redressed : Identity and Clothing in the Novels of Emile Zola (2003) et Taboo: Corporeal Secrets in Nineteenth-Century France (2013), tous les deux chez Legenda. Elle rédige en ce moment son troisième livre, Visions of Blindness in French Fiction qui utilise une approche ‘Disability Studies’ pour analyser les représentations de la cécité dans la littérature française. Elle s’intéresse de plus en plus à l’étude du handicap dans le monde francophone et son blog, ‘Blind Spot’ (www.hannah-thompson.blogspot.co.uk) capte ses pensées d’universitaire mal voyante vivant et travaillant dans un monde voyant.
Olivier Bara
Olivier Bara est Professeur de Littérature française du XIXe siècle et d’Arts de la scène à l’Université Lyon 2, directeur de l’UMR 5317 IHRIM (Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités).
Ses travaux, relevant de la poétique historique des formes et de la sociocritique, concernent le théâtre et l’opéra au XIXe siècle, ainsi que les liens entre littérature romantique, spectacle, idées et vie politiques. Il a notamment publié Le Théâtre de l’Opéra-Comique sous la Restauration : enquête autour d’un genre moyen (Olms, 2001), Le Sanctuaire des illusions. George Sand et le théâtre (PUPS, 2010), dirigé Boulevard du Crime : le temps des spectacles oculaires (Orages, 2005), Etude d’Hernani et Ruy Blas de Victor Hugo (Atlande, 2008), Etude d’On ne badine pas avec l’amour, Il ne faut jurer de rien, Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée de Musset (Atlande, 2012), Lectures sociocritiques du théâtre (Etudes littéraires, 2013), co-dirigé George Sand critique. Une autorité paradoxale (avec C. Planté, PUSE, 2011), Généalogies du romantisme musical français (avec A. Ramaut, Vrin, 2012), Rousseau en musique (avec M. O’Dea et P. Saby, Orages, 2012), Ecriture, performance et théâtralité chez George Sand (avec C. Nesci, Ellug, 2014), Les Héroïsmes de l’acteur au 19e siècle (avec M. Losco-Lena et A. Pellois, PUL, 2014), En revenant de la revue. La revue de fin d’année au 19e siècle (avec R. Piana et J.C. Yon, Revue d’Histoire du théâtre, juin 2015) réédité le roman de comédiens de George Sand, Pierre qui roule (Paradigme, 2007) et le Théâtre de poche de Théophile Gautier (Classiques Garnier, 2011). Il dirige la revue Orages. Littérature et culture (1760-1830) et les Cahiers George Sand.