"Words and music" de Pedro Garcia-Velasquez
à l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet - 7 rue Boudreau - 75009 Paris
En tant qu’admirateur de Beckett depuis ma jeunesse, c'est un bonheur d'avoir composé une musique pour cette pièce. Paroles et Musique, les personnages, sont représentés, l'un par un Acteur, l'autre par l'orchestre instrumental, des haut-parleurs et des sets robotiques.
Le troisième personnage, Croak, maître de Paroles et de Musique, convoque l'un et l'autre, leur demandant de réagir à différents thèmes. L'amour, peut-être le thème central de cette pièce, est à la fois fui et recherché.
On devine se dessiner, dans l'esprit de Croak, des lieux auxquels Musique donne corps par le son. On imagine un château en ruines, endroit vaste et solitaire, où le temps est tellement passé que les toits se sont effondrés, les dalles craquent et la vie entre à nouveau.
Paroles et Musique, en conflit dès le début l’œuvre, développent une affection au cours de la pièce. En arrivant vers la fin, on assiste à une naissance métaphorique de l'art lyrique, timide et peut-être encore maladroite mais que j'ai trouvée très émouvante dès la première lecture.
Les acteurs Johan Leysen (Words) et Jean-Claude Frissung (Croak) sont magnifiques, tout comme la direction d'acteur de Jacques Osinsky et l'éclairage de Catherine Verheyde. Les musiciens du Balcon dirigé par Alphonse Cemin sont incroyables.
Reste à savoir qui gagnera la bataille entre les Paroles et Musique.
Pedro Garcia-Velasquez
Musique : Pedro García-Velásquez
Direction musicale : Alphonse Cemin
Mise en scène : Jacques Osinski
Words : Johan Leysen
Croak : Jean-Claude Frissung
Music : Le Balcon
Création lumières : Catherine Verheyde
Projection sonore : Florent Derex
Electronique musicale : Étienne Graindorge
Sculpture des robots : Marion Flament
Coproduction : Scène de recherche ENS Paris-Saclay, Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Coréalisation : Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Pedro García-Velásquez compositeur
Compositeur et co-directeur artistique du Balcon, Pedro Garcia-Velasquez multiplie les pistes de recherche créatrice, dans une constante volonté d’expérimentation et de transgression. Lauréat en 2016 du prix Pierre Cardin de l’Académie des Beaux-Arts, il s’intéresse également de près à la transdisciplinarité des arts et des sciences, voyant dans la musique et ses différents paramètres (timbre, rythme, réflexes…) le moyen d’une recherche fondamentale de l’Autre.
Pedro grandit à Cali, en Colombie, encerclé par les parcs naturels, les montagnes et les rivières. Il apprend le violon dès son enfance et épargne sans relâche sa petite monnaie pour se procurer quelques disques des grandes pièces du répertoire. À l’âge de quatorze ans, le jeune homme commence à écrire de petites pièces jazz ou baroques. Au lycée, il suit déjà un cycle supérieur de violon, et sa rencontre avec un professeur de théorie musicale, Alvaro Gallego, marque son approche de la musique : à travers une étude parallèle d’une œuvre du compositeur colombien Cesar Potes et du Sacre du Printemps de Stravinsky, Pedro Garcia-Velasquez prend soudain conscience de ce qu’il nomme la « puissance souterraine de la musique » et décide de faire de la composition son métier. Après avoir étudié auprès d’Harold Vasquez-Castañeda, professeur à l’Université Pontificale Javeriana de Bogotá, Pedro entre au CRR de Boulogne, puis au CNSM de Paris et étudie auprès de Frédéric Durieux, qui l’incite à réfléchir sur la place accordée à la complexité dans son écriture.
De cette époque lui viennent deux intuitions fondamentales : la recherche d’un travail harmonique et timbrique lumineux et flottant, pouvant se rapprocher du courant spectral français ; et la fascination pour les résonances, l’impact et la déflagration, l’attente inassouvie de quelque chose qui ne survient jamais. Pedro écrit Esperando Llueva, qu’il enregistre avec Maxime Pascal au Conservatoire, et Leve, reflejo, contracorriente, horizonte, deux pièces majeures dans son parcours de jeunesse.
C’est au CNSM que Pedro et Maxime, avec quatre autres étudiants, fondent Le Balcon, dans un désir collectif d’expérimentation et de transformation de l’expérience du concert. Au sein du collectif, Pedro Garcia-Velasquez trouve de nombreux interlocuteurs avec lesquels il développera ses idées : le réalisateur en informatique musicale Augustin Muller, l’ingénieur du son Florent Derex, le metteur en scène Benjamin Lazar (Lieux Perdus, la série Théâtre Acoustique), la saxophoniste Juliette Herbet (Juguemos), l’inclassable Nieto (Scratched Shadows), le violoncelliste Askar Ishangaliyev (Moro de Venecia) ou le bassoniste Julien Abbes (Cras Lucebit, 2010). Pedro conçoit la création partagée comme un moyen d’exciter l’ouverture des imaginations. Avec Maxime Pascal, le dialogue est également nourri, notamment sur les moyens d’intégrer les fragments du répertoire dans l’écriture contemporaine.
Depuis 2014, la série Théâtre Acoustique (qui comprend les pièces Lieux Perdus, et Fête dans le vide) est une manière pour lui d’explorer les méandres de la conscience et du souvenir, et de travailler avec des outils technologiques inédits. Avec Augustin Muller et l’ingénieur du son Florent Derex, Pedro capture l’empreinte acoustique de dizaines de lieux (églises, château en ruines…) pour les intégrer à la musique qu’il écrit. Ces « lieux perdus » dont l’essence acoustique est saisie, renvoient aux lieux délaissés d’une civilisation occidentale en état de délabrement avancé.
Initio (2016), opéra chorégraphique co-écrit avec Tatiana Julien, lui permet d’user d’un matériau inédit pour lui : le corps de l’interprète. Dans C’est déjà le matin (2016), co-écrit avec Arthur Lavandier et Frédéric Blondy, Pedro crée un petit monde mythologique festif et bizarre, dans lequel il plonge le spectateur dans le nuage de ses idées surréalistes.
Ses pistes de réflexion actuelles sont nombreuses : parmi celles-ci, il y a la tentative de redéfinition d’une écriture rythmique à la hauteur des choses entendues durant son enfance, à Cali, auprès des communautés noires de la ville. La rencontre avec des collégiens primo-arrivants a également déclenché en lui la volonté d’explorer avec eux les intuitions mélodiques et rythmiques extra-européennes. « C’est vraiment le début », dit-il. Récemment, il a rejoint les bancs de l’EHESS, où il étudie désormais l’ethnomusicologie interactiviste. Le parcours de Pedro est peut-être bien, en définitive, une succession d’éternels débuts.
Pedro García-Velásquez est un compositeur en résidence à la Fondation Singer-Polignac.