L’utilisation de l’hôtel de la princesse par la Fondation Singer-Polignac

L’installation de la Fondation Singer-Polignac dans l’hôtel

Lorsque la Fondation Singer-Polignac est créée en mars 1928 sous l’impulsion de Winnaretta Singer, princesse Edmond de Polignac, celle-ci ne dispose pas de locaux. Les différentes conférences scientifiques qu’elle organise sont accueillies par le Collège de France dont certains professeurs et administrateurs sont également membres du Conseil d’administration de la fondation (Joseph Bédier, Edmond Faral…). À cette période, l’hôtel de l’avenue Georges Mandel est encore habité par Winnaretta et les concerts qui s’y déroulent découlent de ses propres initiatives et ne sont pas rattachés aux activités de la fondation.

Dans son testament, la princesse de Polignac, décédée en novembre 1943, lègue son hôtel particulier à la Fondation Singer-Polignac qui pourra ainsi y installer son siège. Le contexte de la Seconde Guerre mondiale ne facilite pas la succession et l’attestation de propriété n’est établie qu’en 1948. La fondation n’hérite pas du mobilier, ni des effets personnels de la princesse, uniquement des murs.

Afin d’officialiser son installation, la fondation organise le 21 juin 1951 un premier concert d’inauguration en présence du Président de la République Vincent Auriol, avec un programme interprété, entre autres, par Georges Enesco, le Trio Pasquier et Nadia Boulanger. Ce premier événement de l’ère post-Winnaretta permet aussi de remettre des prix à quatre lauréats pour récompenser leur travail dans le domaine de la connaissance, des arts et de la bienfaisance. Le premier colloque à être organisé dans les murs s’est tenu en 1954. Intitulé « L’instinct dans le comportement de l’homme et des animaux », il était présidé par Pierre-Paul Grassé, membre de l’Institut.

Monsieur le Président de la République,

Si je vous remerciais, au nom du Conseil de la Fondation Singer-Polignac, du grand honneur que vous nous avez fait en acceptant notre invitation, le sens si vif et si juste que vous avez de toutes choses pourrait vous inspirer la crainte que nous nous soyons mépris sur la signification de votre présence. Mais il n’y a point eu méprise. Nous savons fort bien que vous n’êtes pas venu pour flatter notre orgueil : vous avez voulu, en assistant à ce concert, qui est en même temps une cérémonie, rendre un hommage officiel à l’acte généreux, fruit d’une pensée bien mûrie, par lequel la princesse Edmond de Polignac s’est proposée de servir les lettres, les arts, les sciences et la philanthropie.

C’est à elle que la Fondation doit son existence, consacrée par la loi du 25 mars 1928 qui en a fait un établissement public français. C’est à elle que nous devons la propriété de l’hôtel où nous sommes assemblés. C’est à des concours offerts en sa mémoire que nous devons les moyens importants grâce auxquels nous pourrons réaliser ses desseins.

Allocution d’Edmond Faral, président de la fondation, le 21 juin 1951

L’hôtel de la fondation au XXe siècle

De 1951 à 1981, la fondation organise un concert annuel dans le Salon de musique de l’hôtel. Les autres salons sont uniquement ouverts pour les grandes occasions comme ces concerts, ou les colloques qui se tiennent sur plusieurs jours.

L’Atelier sert de salle d’exposition ou de bureau.

Concert du 27 avril 1972 dans le Salon de musique, avec le Royal College of Music Orchestra.

A partir de 1985 et la présidence d’Édouard Bonnefous, la fondation a la volonté de remeubler et redécorer les salons d’apparat de l’hôtel. Chaises, fauteuils, lustres et tapisseries sont ainsi acquis pour redonner un peu de vie aux salons de réception qui subissent également pour certains quelques travaux de rénovation au début des années 1990.

Parallèlement à ces projets, le nombre de colloques produits par la fondation augmente entre 1997 et le début des années 2000, représentant chaque année environ 30 jours d’utilisation des salons. Quant aux concerts, le président Bonnefous choisit d’en organiser de façon ponctuelle.

A partir de 2006 

Lorsqu’Yves Pouliquen succède à Édouard Bonnefous, il souhaite ouvrir les salles de l’hôtel à des musiciens qui sont à la recherche d’espaces de travail. C’est ainsi que la création de la résidence musicale en 2006/2007 permet la transformation de certaines salles en salles de répétition. L’ancienne salle des gens et la cuisine du rez-de-chaussée, la bibliothèque du 3e étage, une ancienne chambre au 4e étage, l’Atelier de la princesse et le salon de musique s’ouvrent peu à peu aux artistes de la résidence. Entre 2007 et 2014, des travaux et certains aménagements permettent d’améliorer l’acoustique. On achète également des pupitres, des pianos, un clavecin, un orgue et, plus tard, des percussions, afin de permettre aux musiciens de travailler dans des conditions optimales. Aujourd’hui, l’hôtel compte 6 salles de répétition et un studio de composition. Les jardins et la salle à manger sont devenus des lieux de rencontres et d’échanges pour les musiciens qui occupent l’hôtel au quotidien, encadrés par une équipe de salariés dont les bureaux sont pour la plupart installés dans les anciens appartements de la princesse et ceux des invités.

Les salons de réception sont toujours utilisés pour les concerts et les colloques produits par la fondation. Le salon de musique est désormais équipé d’une scène, d’une régie et de multiples lumières. Il permet d’accueillir environ 150 personnes. La fresque de José-Maria Sert qui orne le plafond du salon a été restaurée au cours de l’année 2007 par l’atelier de Madeleine Hanaire et Francisca Hourrière, assistées d’Emmanuel Joyerot, restaurateurs habilités des Musées nationaux, sous la supervision de Christian Prévost-Marcilhacy, inspecteur général honoraire des Monuments historiques.

Pierre Corvol, président de la fondation depuis 2020, a décidé d’ouvrir les portes de l’hôtel lors des Journées européennes du patrimoine, permettant à un public restreint de découvrir les salons d’apparat, les jardins et l’Atelier lors d’une visite guidée. C’est également depuis sa présidence que la fondation développe la retransmission en streaming de certains de ses événements comme les colloques et les concerts du Festival Singer-Polignac, offrant ainsi la possibilité au plus grand nombre d’être immergé dans l’intimité du Salon de musique, même à distance.

Edmond Faral

Président de la Fondation Singer-Polignac de 1938 à 1958

Membre du conseil d’administration 1931 – 1958 †

« Edmond Faral avait le don, plus rare qu’on ne croit, de l’autorité. On se hasardait peu à le contredire. Le masque énergique, la voix brève, l’attitude tendue ajoutaient encore à une impression de rigueur que modifiait seul son commerce plus intime, que tempérait aussi le sentiment des nuances tel qu’y entraîne la formation universitaire. Là où il est passé, que ce soit au conseil supérieur de l’instruction publique, dont il était le vice-président, ou bien au Collège de France, où il se révéla un administrateur hors pair, il a laissé la marque de son action. Néanmoins, c’est l’érudit qui doit plutôt nous retenir: ses mérites de philosophe scrupuleux, bien informé, ne reculant pas d’ailleurs devant l’hypothèse hardie; ses mérites aussi d’historien des lettres, à l’occasion, d’historien tout court. Il a repris en main, rénové les études sur la littérature du Moyen Âge, montrant que toute une partie de notre littérature en vieux français avait subi l’influence de l’art poétique latin, de textes latins créés parallèlement à elle dans les écoles et les cénacles. Grâce à Edmond Faral, ces œuvres latines du XIIe au XIVe siècle, longtemps méconnues, sortaient de leur isolement, perdaient leur gratuité.

L’autre grand travail de notre confrère sur la Légende arthurienne procède, au fond, d’une pensée analogue. L’auteur n’admet pas que ce vaste cycle légendaire soit né du folklore et d’une tradition purement orale. Il y retrouve le génie inventif d’un narrateur qui avait puisé dans des matériaux savants, les uns de provenance celtique, les autres, plus nombreux, du fonds gréco-romain. Ainsi est remis en honneur le primat de la chose écrite, du savoir clérical: thèse séduisante, dont on pourrait sans peine transférer le bénéfice à d’autres domaines littéraires. On évoquera naturellement, à ce sujet, les Légendes épiques de Joseph Bédier, maître de Faral, ce livre duquel la Légende arthurienne forme un digne pendant. »

Louis Renou, membre de l’Institut

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