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L’Inde dans les relations internationales

    Les éléments de la puissance

  • La population de l'Inde, Roland J.L. Breton, professeur émérite de géographie à l'université de Paris VIII (Vincennes-Saint-Denis)
  • La plus grande démocratie, Christophe Jaffrelot, directeur du CERI, professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris
  • Forces et faiblesses de l'économie indienne, Jean-Joseph Boillot, ancien conseiller financier en Inde et co-fondateur du EIEBG
  • La vitalité intellectuelle indienne, Madame Vaiju Naravane, correspondante de The Hindu à Paris


    Le jeu de la puissance

  • La vocation de la puissance, Bernard de Montferrand, ancien ambassadeur de France en Inde
  • L'Inde, puissance régionale, Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS
  • L'Inde et la Russie, Max-Jean Zins, chargé de recherche au CNRS et au CERI
  • L'Inde et la Chine, général de brigade (2ème section) Alain Lamballe, chercheur Asie du Sud (Asie 21, Groupe Futuribles)
  • L'Inde et l'Occident, Jean François-Poncet, sénateur, ancien ministre

Programme

Présentation : (texte & vidéo)

Bernard de Montferrand

Dès les origines de l’Inde moderne, ses dirigeants ont voulu donner à ce pays un rôle majeur dans la gouvernance du monde et tous les attributs, politiques, militaires et économiques d’une puissance globale et indépendante. C’est ce projet qui donne au décollage économique et à la nouvelle puissance indienne sa vraie dimension. Le caractère démocratique du système politique indien comme le rythme et la stabilité de la croissance du pays font que cette « renaissance » semble être mieux acceptée que d’autres. Le décollage économique a donné à l’Inde les moyens et l’assurance nécessaires à une réappréciation de ses relations avec tous ses partenaires, marquée par le pragmatisme et la prise en compte de ses intérêts tout en restant attachée à ses valeurs et à un grand sens de ses responsabilités. Mais de nombreux obstacles se dressent encore pour freiner la vocation indienne à la puissance globale. Il faudra encore du temps et beaucoup d’efforts à l’Inde pour atteindre tous ses objectifs.


La population de l'Inde,

par Roland J.-L. Breton

La population de l’Inde doit, dans les trente ans à venir, dépasser celle de la Chine, et être, ainsi, la première du monde. L’ensemble humain habitant le Subcontinent a, d’ailleurs, tout au long de l’histoire, englobé, comme la Chine, entre un quart et un cinquième de l’humanité ; jusqu’à la Partition de 1947, qui fit tomber l’Union Indienne à un sixième. Mais cette masse humaine, unie par une civilisation originale commune, est marquée par une beaucoup plus profonde diversité linguistique, ethnique, sociale, et même raciale, qui a, généralement, été admise dans un consensus de tolérance exprimé par sa devise : « Unité dans la diversité ». La question est maintenant de savoir comment l’Inde saura tirer parti de cet héritage, à travers le maintien de sa démocratie, le ralentissement de sa natalité, l’élévation du niveau de vie, une meilleure éducation publique, la lutte contre le Sida, l’aide de sa diaspora, et l’affirmation pacifique de sa force, pour devenir l’une des toutes premières puissances du XXIe siècle.

 

Forces et Faiblesses de l'économie indienne, une lecture dynamique

par Jean-Joseph Boillot, ancien Conseiller financier en Inde et co-fondateur du EIEBG

L’Inde ne se prête ni à l’approche anglo-saxonne de la bonne et mauvaise nouvelle, ni à celle du cartésianisme français du tout blanc-tout noir, encore moins au bilan comptable des points forts et points faibles. La philosophie du roman de Rohinton Mistry, "The Fine Balance", montre plutôt un monde où coexiste le meilleur et le pire, et une dynamique économique en forme de séquences graduelles où les points forts génèrent des faiblesses et vice-versa.
Après avoir rappelé les forces profondes qui tirent l’économie indienne et la pilote, on montre comment les six points forts et six points faibles traditionnellement identifiés pour l’Inde peuvent être combinés de façon dynamique à l’aide de trois scénarios prospectifs bien identifiés à l’horizon 2015. Mais plutôt que la lecture classique d’un scénario l’emportant sur les autres, l’auteur en propose une lecture combinatoire sous forme de tensions permanentes entre les trois, avec toutefois un scénario équilibré dominant.

La puissance militaire de l’Inde,

par Isabelle Saint-Mézard, DAS, Ministère de la Défense

L'Inde apparaît aujourd'hui comme une puissance militaire de premier ordre, en possession de l'arme nucléaire et d'une armée de terre qui, avec plus de 1 million d’hommes, se classe au second rang mondial après la Chine (l'armée de l'air et la marine se situant respectivement au quatrième et sixième rang). Les forces armées indiennes font de surcroît l'objet d'un nouveau cycle de modernisation qui participe d'une politique plus générale d'affirmation de la puissance de ce pays sur la scène internationale. La présentation se concentrera précisément sur ce nouveau cycle de modernisation militaire. Elle rappellera d'abord qu'en dépit de sa tradition pacifiste et non-violente, l'Inde a souvent recours à la force armée au cours de son histoire récente, et qu'elle conçoit aujourd'hui l'outil militaire comme un attribut essentiel de sa montée en puissance. L'exposé s'intéressera aussi aux modalités de la modernisation militaire, à savoir : ouverture progressive des forces armées indiennes sur le monde, politique d’acquisition en équipements, projets de développement conjoint avec des partenaires étrangers, et enfin recherche autonome d'une triade nucléaire. Seront abordés en dernier lieu certains des grands défis à relever, notamment pour l'armée de terre, ainsi que les dysfonctionnements organisationnels dont continue de pâtir l'appareil de défense indien.

L'Inde, puissance régionale

par Jean-Luc Racine, directeur de recherche au CNRS. Centre d’Etudes de l’Inde et de l’Asie du Sud. CNRS-EHESS

Superficie, population, économie, budget de la défense : à tous égards, la suprématie indienne s’affiche en Asie du sud. Pourtant cette suprématie n’assure pas à New Delhi une hégémonie incontestée. Soixante ans après la Partition, le Pakistan récuse toujours le statut de son grand voisin, qui ne peut non plus imposer un « ordre indien » ni au Népal, ni au Bangladesh, ni au Sri Lanka. New Delhi, du reste, se défend de toute volonté hégémonique, et prêche aujourd’hui, au nom du soft power, la « connectivité » entre Etats de l’Asie du sud, pour y développer le flux des marchandises, des personnes et des idées. La faible cohésion de la SAARC, organisation régionale où le commerce entre membres est infiniment inférieur aux échanges avec le reste du monde, témoigne de cette difficulté à normaliser l’Asie du sud autour du projet pourtant affiché de zone de libre échange. Dans le même temps, toutefois, la puissance émergente de l’Inde hausse son statut macro-régional, et fait bouger les lignes à deux égards. D’une part, le Pakistan doit s’accommoder de la normalisation des relations sino-indiennes et du rapprochement indo-américain qui confirme l’Inde dans son rôle de pôle de stabilité en Asie méridionale. D’autre part, l’Inde déploie une active diplomatie, politique, stratégique et commerciale, en direction de son voisinage étendu, en Asie du sud-est au premier chef, mais aussi au Moyen Orient, en Asie centrale et dans l’Océan indien. Une telle option, couplée au renforcement des relations avec les puissances opérant en Asie (Chine, Japon, Russie, Etats-Unis, voire Australie et ASEAN), conforte naturellement le statut régional de l’Inde, quels que soient les rapports complexes qu’elle entretient avec ses voisins immédiats.

 

L'Inde et la Chine

par Alain Lamballe

Analyser les relations entre l’Inde et la Chine, c’est s’intéresser à 40 % de l’humanité. La question revêt donc une grande importance. Les différends et les sources de friction ne manquent pas entre ces deux pays, les plus peuplés du monde, séparées par l’Himalaya mais limitrophes. La Chine conteste la montée en puissance de l’Inde en refusant de soutenir sa candidature comme membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle tisse un tissu de relations étroites dans tous les domaines, y compris militaires, avec tous les voisins de l’Inde dont celle-ci prend ombrage. Elle se montre également très offensive pour développer les échanges commerciaux avec l’Inde, pénétrer le marché indien et investir dans des secteurs clés, ce qui suscite des réticences indiennes. Les deux pays se retrouvent en compétition pour la vente de leurs produits et pour l’accès aux sources d’énergie et aux matières premières. De plus, le différend frontalier, portant sur quelque 130.000 km² demeure.

A priori, tout sépare l’Inde et la Chine, la première pratiquant la démocratie mais avec une économie encore partiellement contrôlée par l’Etat et la seconde continuant d’adopter un régime communiste mais avec une économie libérale. Et pourtant, les positions se rapprochent. 

Les échanges commerciaux se développent de manière spectaculaire. Ils atteignent désormais 25 milliards de dollars à comparer aux 5 milliards en 2002 (à comparer aussi avec les échanges indo-pakistanais qui dépassent à peine 1 milliard de dollars et avec ceux entre le Pakistan et la Chine, de l’ordre de 5 milliards de dollars). Ils pourraient dépasser 30 milliards de dollars en 2010. La Chine va devenir le premier partenaire commercial de l’Inde en supplantant les Etats-Unis. Elle importe essentiellement des matières premières dont du minerai de fer et exporte des produits manufacturés. Le solde lui est favorable, le commerce s’apparentant à des échanges entre un pays développé en l’occurrence la Chine et un pays en développement, l’Inde.

Des entreprises conjointes se créent, en Inde comme en Chine, y compris dans les secteurs de haute technologie. La signature d’un protocole d’accord scientifique et technique le 7 septembre 2006 montre la volonté des deux pays d’œuvrer en commun dans leurs pôles d’excellence.

Un dialogue s’est même instauré dans le domaine militaire avec quelques visites réciproques de hautes personnalités de la défense. Des rencontres entre commandants locaux ont lieu régulièrement sur les frontières. Quelques exercices navals communs se sont déroulés au large des côtes chinoises en 2003 et 2007 et au large des côtes indiennes en 2006.

La stratégie chinoise à l’égard de l’Inde est claire, visant à multiplier les échanges et les investissements. L’attitude indienne peut au contraire sembler parfois incohérente, par exemple lorsque New Delhi accepte l’implantation de sociétés chinoises tout en dressant en même temps des obstacles pour l’obtention de visas par les ingénieurs et techniciens. En d’autres termes, la Chine est audacieuse et l’Inde timorée.

Les facteurs de rapprochement entre l’Inde et la Chine pourraient l’emporter sur les facteurs de division. Toutefois, certaines conditions paraissent indispensables, notamment une acceptation par Pékin d’un règlement du problème des frontières qui officialise l’état de fait actuel, moyennant peut-être quelques aménagements. Il faudrait aussi que la Chine accepte l’acquisition par l’Inde d’un poste permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Les deux pays pourraient alors adopter des positions communes dans les grandes négociations internationales, non seulement dans le domaine économique comme c’est déjà le cas mais aussi dans le domaine politique. Ils constitueraient alors un pôle de puissance considérable en Asie et dans le monde. Une entente avec la Russie n’est pas non plus exclue pour créer un triangle décisionnel avec lequel il faudrait compter.

Même si l’Inde et la Chine ne s’entendent pas, les conséquences pour les pays occidentaux seront de toute façon importantes. Le monde a tout à redouter de l’appétit grandissant de ces deux géants asiatiques en énergie et en matières premières qui absorberont une partie des ressources disponibles à nos dépens. Grâce à la quantité et à la qualité de leurs chercheurs, de plus en plus innovateurs et de leurs ingénieurs, de mieux en mieux formés, ils constitueront l’un et l’autre les laboratoires et les ateliers du monde qui concurrenceront de plus en plus nos centres de recherche et nos appareils de production.

Ces deux pays, dont il convient de prendre en compte le poids additionné de leurs potentiels scientifiques et économiques, occuperont, quelles que soient leurs relations bilatérales mais encore plus si elles sont étroites, une place déterminante dans l’organisation du monde futur.