Lettre de Anna de Noailles à la Princesse de Polignac n°99

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Lundi

Ma chère petite Winnie

On le sent, quand vous n'êtes pas là ; il manque un des piliers de l'amitié la plus chère, et de l'intelligence. Même quand je ne vous vois pas, je sais que près de moi, au tournant de la rue, il y a la raison et le coeur accordés l'un avec l'autre par ce luthier céleste qui ne fait que très peu de ces nobles et parfaits instruments. Combien la masse de l'orchestration humaine est imperfection, qui attriste ou fait souffrir. Ce qu'il y a de plus rare, c'est qu'un esprit plein de méthode et de sagesse ait aussi le feu qui maintient dans l'âme et dans la vie cet état de ressemblance perpétuelle avec soi-même, et d'éternelle jeunesse dont nous sentons bien qu'elle, - cette jeunesse profonde, - nous a été donnée pour tout le temps qui va de la naissance à la mort, avec tout ce qu'elle comporte de feu et de désespoir.

Je suis heureuse que vous soyez bien à Pau, ici il fait très beau aussi, mais c'est le bleu froid d'un ciel d'Occident, au lieu du commencement de l'Espagne. J'espère que vous ne toussez plus. Je pense à vous avec toute ma fidèle et tendre affection dévouée. Anna.

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